Au moment où le Musée d’Art moderne de Paris expose les œuvres de Gabrielle Münter, les éditions du Seuil ont la bonne idée de nous proposer la biographie de cette artiste discrète et hors du temps, sous le pinceau respectueux de Mayte Alvarado.

Cette biographie retrace le parcours de la peintre allemande Gabriele Münter, compagne de Vassily Kandinsky et membre comme ce dernier du Cavalier bleu, un groupe d’inspiration expressionniste né à Munich au début du XXe siècle. En s’inspirant de ses toiles chatoyantes, Mayte Alvarado, également adepte de la couleur, évoque l’amour de l’artiste pour les grands espaces alpins et une certaine douceur de vivre, un amour contrarié par l’arrivée au pouvoir des Nazis. Chaque jour de sa vie, Münter n’a jamais cessé de peindre, et malgré plusieurs séjours aux Etats-Unis, en France et dans d’autres villes d’Allemagne, elle est toujours restée attaché à sa ville d’adoption bavaroise, Murnau, où elle vécut jusqu’à la fin de ses jours.
C’est une jolie promenade picturale que nous offre Mayte Alvarado sur ces Terres bleues, en hommage à cette artiste s’inscrivant dans le mouvement expressionniste d’outre-Rhin. Dans une imitation totalement assumée de l’art de Gabriele Münter, Alvarado produit un récit plein de douceur, tout en simplicité et avec peu de mots, les images parlant pour elles-mêmes. Comme le suggère le titre, c’est le bleu qui domine au milieu d’une palette de couleurs très variées, ce bleu alpin qui enveloppe les montagnes et met le spectateur en immersion totale avec la nature omniprésente, qui sert de toile de fond à des scènes de la vie quotidienne, des pique-niques, des promenades à vélo ou en barque. Autant de cases qui apparaissent comme des tableaux, et selon les termes de l’autrice en préface, des tableaux qui sont « comme des fenêtres ».
Par un découpage en cinq chapitres, représentant chacun une saison (2 hivers, un printemps, un été et un automne), Mayte Alvarado produit une biographie elliptique de la vie d’une artiste qui se confondait avec son œuvre, « une vie consacrée à la création », car en effet, il ne se passait pas un jour sans que cette dernière n’empoigne son pinceau. Hormis sa majeure partie qui se déroule dans la Bavière dont elle était tombée amoureuse, le récit raconte son séjour dans le Paris de l’entre-deux-guerres, mais aussi ses relations compliquées avec Kandinsky, et plus grave encore, l’arrivée au pouvoir des Nazis qui n’avaient guère d’appétence pour son art, qualifié de dégénéré. Elle réussit à préserver ses œuvres de leur folie destructrice en les cachant dans sa cave. La dernière scène hivernale est très belle, où l’on voit une Gabriele au crépuscule de sa vie gravissant une montagne enneigée pour y faire un croquis (le dernier ?) du paysage alpin, comme une sorte de clin d’œil au Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich.
Gabriele Münter aurait forcément été touchée par ce bel hommage, tel une bulle temporelle apaisante que même l’éprouvant contexte politique de l’époque, qui monta en crescendo jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, ne réussit pas à perturber outre mesure. Gabriele Münter, les terres bleues fait ainsi écho à Deux filles nues, l’album de Luz traitant des attaques du pouvoir hitlérien contre ce qu’il qualifiait d’« art dégénéré ». Ajoutons que l’on pourra admirer jusqu’au 24 août 2025 une exposition consacrée à l’artiste au Musée d’Art Moderne à Paris.
Laurent Proudhon
Gabriele Münter – Les terres bleues
Scénario & dessin : Mayte Alvarado
Editeur : Seuil
96 pages – 19,90 €
Parution : 4 avril 2025
Gabriele Münter – Les terres bleues — Extrait :
