Warren Haynes et son groupe de musiciens surdoués étaient à la Cigale pour défendre les titres de son dernier album et faire un tour d’horizon de son impressionnante discographie. Un évènement que nous n’avons bien entendu pas raté.
Une fois n’est pas coutume, nous allons parler de Blues Rock et de Jazz dans l’une de nos live reviews. Pendant qu’à quelques mètres de là, les branchés Japanese Breakfast se produisent au Trianon, le vénérable Warren Haynes Band investit la Cigale pour un set rempli de soli divers et variés de guitares, de basse, de saxophone et de morceaux de 15 minutes. De quoi faire frémir les fans de post rock, assurément, mais un rendez-vous à ne pas manquer pour les autres.
Le CV de Warren Haynes, 65 ans, parle de lui-même : guitariste prodige, après quelques années dans le Dickey Betts Band, il intègre avec son compère Derek Trucks, l’Allman Brothers Band en 1990, et va en être une des principales forces créatrices jusqu’à la fin, en 2014. Durant cette période, quatre albums studios vont être réalisés, dont le magnifique Hitting the Note en 2003. Haynes va redonner une seconde jeunesse au groupe sudiste, à force de tournés incessantes. Il écume aussi en parallèle les salles de la planète avec son propre groupe Gov’t Mule, créé en 1995 et spécialiste des concert fleuves. Enfin, il se produit à intervalle régulier avec le Warren Haynes Band, en distillant un répertoire généralement un petit peu plus soul que celui de la Mule.
Le concert de ce soir est sans première partie, mais avec deux sets d’un peu plus d’une heure séparés par une entracte. Cette formule est de plus en plus fréquente, mais pas encore tout à fait anticipée par le public parisien : le groupe va ainsi démarrer son concert à 20h dans une Cigale, en configuration assise, qui sonne le creux mais qui va se remplir progressivement. Que des premiers couteaux dans le groupe, à commencer par le sculptural bassiste Kevin Scott, également bassiste de Gov’t Mule, et le saxophoniste Greg Osby, qui a sorti 13 albums chez Blue Note en tant que leader ! Le tout est complété par Terence Higgins à la batterie et Matt Slocum aux claviers.
Haynes choisit un extrait de son nouvel album, Million Voices Whisper, et le premier single This Life As We Know It, un mid-tempo optimiste : « It’s good to be alive / And to know that we have survived”. Le son est absolument excellent, la voix de Haynes gorgée d’émotion. Man in Motion, chanson titre de l’album précédent, suit et donne l’occasion à Osby de se lancer dans son premier solo. Premier grand moment du concert, River’s Gonna Rise poursuit sur une veine Stax avec un Haynes très présent, mais qui laisse toujours de la place à ses comparses. L’un d’entre eux, Kevin Scott, commence à faire une sacrée impression. Cela va être le cas jusqu’à la fin des deux sets, c’est le bassiste le plus incroyable que nous ayons vu en concert depuis pas mal de temps. Ce type a tout, un look de bucheron, une technique irréprochable, et un son agressif.
Après ces trois titres de son répertoire propre, le Warren Haynes Band va commencer à rendre hommage à l’Allman Brothers Band, et pas moins de 4 titres seront joués ce soir, dont ce Dreams datant de 1969 : « Just one more mornin’ / I had to wake up with the blues », la voix de Warren Haynes n’a pas le timbre de celle de Gregg Allman, mais le sax prend la place de Duane Allman, la version est longue et magnifique. Mentionnons tout de suite Instrumental Illness qui va un peu plus tard conclure le premier set : ce titre a été entièrement composé par Haynes pour l’ABB et figure en bonne place sur Hitting the Note. On est totaleeant dans le jazz : après que Slocum et Osby aient tourné autour du thème et pendant qu’Higgins se prend pour Tony Williams aidé par un Scott phénoménal, Haynes attend son heure et se lance dans un long solo jamais démonstratif qui conduit le morceau à son petit quart d’heure habituel sous les acclamations de la Cigale à genoux devant tant de virtuosité. Auparavant, l’interprétation de Beautifully Broken, grand classique du répertoire de Gov’t Mule, aura prouvé que le Warren Haynes Band est peut-être encore meilleur que son cousin. Quel premier set !
Le niveau ne va évidemment pas faiblir après la pause de 20 mn. La Cigale s’est alors bien remplie et les deux morceaux de reprise, Just Another Rider et Desdemona, nous font comprendre l’évidence : la set list est construite en hommage à Gregg Allman. Ces deux morceaux ont été co-écrits par Allman et Haynes, le premier pour le Low Country Blues solo de 2011, et le deuxième pour Hitting the Note, où il est l’un des titres les plus évidents et connus. Nous nous rappelons avec émotion de ce Just Another Rider qui faisait partie de la setlist du dernier concert parisien d’un Gregg Allman déjà malade, au Grand Rex en 2011. Nous sommes loin d’être au bout de nos surprises, puisqu’après un titre du nouvel album, le groupe va s’attaquer ni plus ni moins à un classique absolu, le Blue Train de John Coltrane. Evidemment Osby ne va pas se louper là-dessus, c’est son moment de la soirée, mais les autres musiciens ne seront pas en reste, Slocum le premier.
Les débuts de Gov’t Mule vont être mis à l’honneur, avec notamment un Thorazine Shuffle tiré du premier album Dose, et le deuxième set prend fin avec un Invisible terriblement funk, et dans une version longue. Pas le temps de trop attendre, le couvre-feu ne va pas tarder, et le rappel se limite à ce Soulshine (et oui, encore l’Allman Brothers Band…) qui clôture quasi systématiquement les sets de Warren Haynes ou de Gov’t Mule. Tout le monde est debout, et personne ne se plaindra de ce rappel rapide tant le groupe a été généreux.
2h10 qui auront été un bonheur pour les fondus de guitare mais pas que pour eux. Nous avons pu apprécier un groupe de musiciens fantastiques, au service d’une musique beaucoup plus variée que le blues rock traditionnel.
Laurent Fegly