« Ce qu’il reste de nous », de Jacques Terpant : chroniques d’un monde disparu

Jacques Terpant nous invite à un voyage immobile, une plongée dans le temps long, à la recherche des traces de nos anciens, non pas pour idéaliser un passé révolu, mais pour ne pas totalement les oublier.

« Ce qu’il reste de nous » - Jacques Terpant
© 2025 Terpant / Futuropolis

Dans ce qui pourrait être sa dernière bande dessinée, Jacques Terpant fait revivre, en six chapitres, l’histoire des siens, celle de sa famille au sens large et celle de Hostun, un village du Dauphiné. Il brosse mille ans d’Histoire, des premiers moines défricheurs et de leurs féodaux de maîtres, jusqu’à la génération de son père. Il débute par un souvenir d’enfance. Il a 3 ans et observe Maurice, le voisin, labourer le champ « La pioulà » avec sa paire de bœufs. Il a vu les derniers labours attelés. Après lui, cette mémoire encore vive disparaîtra.

« Ce qu’il reste de nous » - Jacques Terpant « Je fais partie de cette génération qui a vu disparaître une civilisation qui avait duré dix siècles, une autre vient que je ne verrai pas. »

À l’image d’Emmanuel Leroy Ladurie pour son Montaillou, village occitan, Terpant a étudié les archives et recueilli les traditions orales. S’il procède par ellipse, son travail nous raconte la vie, de sa naissance à sa fin, d’une civilisation, celle des moines et des laboureurs, des bouviers et des journaliers, des bergers et des chambrières, des curés et des artisans qui se succédèrent dans le village du haut. Quand vint la révolution industrielle, une partie des habitants descendit de la montagne pour bâtir dans la vallée un nouveau bourg, plus accessible. Mais, ce n’était que partie remise, l’appel de la ville sera le plus fort. Pour mieux incarner son récit, l’auteur se met en scène, avec sa fille, son père, son grand-père et les Terpant des générations passées, leurs voisins et leurs cousins.

Classique et élégant, son dessin est aussi précis et documenté que l’est son usage du patois. Comme Jean-Claude Servais, il excelle dans la reconstitution de l’intérieur d’une ferme ou dans le harnachement d’un cavalier. Fréquemment, l’histoire s’interrompt et le propos se fait plus contemplatif. Il nous partage sa proximité avec la nature et son amour du Dauphiné, comme Jean de La Varende celui de la Normandie, Jean Giono de la Provence ou, plus près de nous, Jean-Louis Murat de l’Auvergne. Tous ces artistes ont tenté de célébrer des terroirs qu’ils sentaient menacé.

« Comme un lichen aigri
Sur le flanc d’un rocher
Comme un loup sous la Voie lactée
Je sens monter en moi
Un sentiment profond
D’abandon

Par mon âme et mon sang
Col de la Croix Morand
Je te garderai
Je te garderai »
— Jean-Louis Murat, Col de la Croix-Morand

Si les pages sont souvent lumineuses et les visages avenants, le ton est triste, la nostalgie omniprésente. Pourtant, Terpant se garde de prétendre que c’était mieux avant, mais seulement que la suite sera très différente et que, l’âge venu, il a choisi, lui, de se retirer à Hostun, d’y relever quelques murs et d’y cultiver un jardin.

Stéphane de Boysson

Ce qu’il reste de nous
Scénario et dessin : Jacques Terpant
120 pages – 22 euros
Éditeur : Futuropolis
Parution : 2 avril 2025

Ce qu’il reste de nous — Extrait :

« Ce qu’il reste de nous » - Jacques Terpant
© 2025 Terpant / Futuropolis

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