Trois ans après un premier album salué par la critique, le collectif londonien Kokoroko revient avec Tuff Times Never Last, proposition sonore qui continue de faire si bien le lien entre jazz, afrobeat, soul et funk.

Dans une scène jazz britannique en plein foisonnement ces dernières années, le septet Kokoroko s’est fait une place de choix. Fondé autour de Sheila Maurice Grey (trompettiste) et Onome Edgeworth, le band a su se démarquer et se forger une identité sonore propre, où le bagage jazz des musiciens puise autant dans les héritages de l’afrobeat, des musiques caribéennes que de la soul. Un cocktail savoureux sur le papier qui trouve sa chaleureuse résonance sur disque, preuve avec un premier opus sorti en 2022 et largement applaudi.
Les bases désormais posées, le collectif n’a plus qu’à faire parler la magie et se laisser porter par l’inspiration pour franchir le cap du second album sans trop de pression. Et dès les premières minutes la tendance est évidente: l’ambiance est décontractée, loin de toute forme de démonstration. Posé, plus épuré, le projet se veut doux et sage. Il se dégage une espèce de force tranquille assez impressionnante de ce Tuff Times Never Last à la fois festif et revendicatif, rythmé et calme, qui ne perd jamais ni de sa cohérence ni de sa maitrise.
Le ton est donné d’emblée donc et montre la marche à suivre. Le titre introductif Never Lost est enveloppé, bien rond, très soulful dans l’esprit quand le suivant, Sweetie, l’un des singles éclaireurs, est plus axé sur les rythmiques afro avec des percussions enlevées, saccadées qui viennent se répondre avec une jolie session de cuivres. Et la suite sera du même acabit, jonglant entre les styles, les mélangeant, les tordant pour entrer dans l’ambiance solaire et lancinante.
Le délicieux Idea 5 (Call My Name) est un assez bon condensé de cette ambition. Ici le style feutré, jazzy, se love à une basse au groove incandescent et à des rythmiques des îles d’une lenteur moite. Bossa, à la limite du zouk mais toujours soul, le titre marche – à tout petits pas – sur des braises brûlantes sans s’alarmer. On retrouve cette sensation cotonneuse plus loin dans un genre plus proche du R&B vintage avec Time and Time, un poil plus rapide dans l’exécution mais au charme charnel aussi puissant.
L’album n’est pas pour autant une simple et unique machine à s’aimer. S’il donne l’impression d’être un disque uniforme, un peu timide niveau originalité, le band londonien sait changer de braquet quand l’occasion se présente. L’excellent Da Du Dah fait clairement office de tube assumé et joue la carte plus funky dancefloor, simple mais d’une efficacité redoutable. Three Piece Suit s’inscrit également dans cette tendance avec une batterie rapide pour donner un aspect plus breakbeat à la composition. Just Can’t Wait est également un petit moment fun avec une dernière section tout en trompettes venue se greffer à la production d’abord assez protocolaire.
Kokoroko baisse le rideau et la lumière avec Over/Reprise, où l’on retrouve sur six minutes quasi instrumentales un mood langoureux, paisible, peut être un poil sirupeux mais si agréable. Une manière de boucler la boucle tout en douceur suspendue. Et surtout accessible. Le maitre mot de ce disque très clairement. Là où d’autres vont aller à la surenchère jazz et cherchent à impressionner par leurs capacités musicales, le groupe préfère voguer à niveau, sans trop en faire. Mais sans n’être qu’une simple musique d’arrière-plan non plus, avec une finesse d’arrangements et d’idées trop importantes pour ne pas être signalée. Toute la force est dans cet équilibre.
Alexandre De Freitas