« L’affaire de la rue Transnonain » de Jérôme Chantreau : chronique d’un massacre

Jérôme Chantreau s’empare d’un fait historique pour le transformer magistralement en un roman policier du 19ème siècle. En compagnie des acteurs de ce drame, le lecteur arpente les rues du Paris d’avant Haussmann, celui de la fange et des coupe-gorges.

Chantreau-Jerome

Monarchie de Juillet, les émeutes embrasent les villes. Les insurgés réclament des droits pour les ouvriers. Les barricades fleurissent dans les rues parisiennes. Les troupes ont été envoyées pour casser la révolte des émeutiers. Dans la nuit du 14 avril 1834, au 12 rue Transonain à Paris, douze civils, femmes, enfants et hommes de tous âges, sont tués par balles et transpercés par les baïonnettes des soldats du 35ème régiment d’infanterie. Sur ordre de leur hiérarchie, ils sont entrés dans l’immeuble et ont assassiné tout le monde. Pourtant, aucun insurgé ne s’y cachait. Seuls les habitants, des artisans et leurs familles, s’étaient réfugiés dans les étages.

laffaire-de-la-rue-transnonainLe lendemain matin, une jeune femme manque à l’appel. Sa paire de bas et un médaillon sont retrouvés dans une chambre mansardée par le médecin chargé de constater les morts, le docteur Pârent. Que sait Annette Vacher de cette nuit de massacre, qu’a-t-elle vu ? Prostituée dans une maison de tolérance, belle comme le jour, le préfet lance Joseph Lutz sur ses traces. On doit la faire taire ! Cet ancien flic de Vidocq, sans foi ni loi, travaille désormais à la police des mœurs. Habitué des bas-fonds, connaissant les filles des rues, il ne devrait pas peiner à la retrouver.

Mais que reste-t-il de son instinct de chasseur ? Même les salauds peuvent avoir des envies de rédemption. Doutant de la version que le gouvernement souhaite livrer à la population pour rendre sa tranquillité à la bourgeoisie, menant l’enquête malgré les ordres, Joseph Lutz dérange, remue, fouille.

S’appuyant sur des faits historiques, Jérôme Chantreau embarque le lecteur dans le Paris insalubre, dans les ruelles sombres et boueuses, dans les taudis du petit peuple et dans les estaminets où l’alcool ravage les corps et les esprits.

Le lecteur vit tour à tour aux côtés de Joseph Lutz et d’Annette Vacher. La prostitution, les corps fatigués, les femmes abusées, les hommes avinés, Jérôme Chantreau raconte du Zola et du Hugo, s’appuyant sur des quantités d’archives, dont celles du médecin hygiéniste Alexandre Parent du Chatelet. Une lumière persiste, celle de la jeune Annette, qui refuse de plier. Dans sa fuite, elle rencontre les féministes du journal La femme libre, écrit par des ouvrières qui dénonçaient leur condition. Annette ne se soumettra pas, jamais.

Composé de très courts chapitres, à la manière d’un feuilleton, Jérôme Chantreau chronique l’avant et l’après massacre. Il met en place, décortique et explique.

Le cynisme politique d’Adolphe Thiers, alors ministre de l’Intérieur, est sans commune mesure. Tout est calcul pour maintenir l’ordre, quitte à faire tuer des civils. « Nous vaincrons, monsieur, la chose est acquise. Mais pour arrêter la contagion révolutionnaire, il faudrait frapper les esprits davantage que les corps. Les châtier si bien que l’ouvrier en ait la nausée, que sa femme se vide de ses larmes, que leurs enfants se réveillent au milieu de la nuit. L’incendie que nous avons laissé prendre, nous ne l’éteindrons pas en pissant dessus. Il faut le recouvrir de cendres. Pour cela, nous avons besoin d’un massacre qui ressemble à une apocalypse, une tuerie qui ait l’air d’un symbole. Alors seulement, et de toutes ses forces, le peuple réclamera la paix. »

Mêlant faits réels et romanesques, L’affaire de la rue Transnonain est lauréat du Grand Prix des lectrices Elle 2025 dans la catégorie fiction.

Récit érudit, ce roman est passionnant. À lire cet été !

Caroline Martin

L’affaire de la rue Transnonain
Roman de Jérôme Chantreau
Editeur : La tribu
468 pages, 22 euros
Date de parution : 5 février 2025

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