Matt Kindt nous propose un surprenant alliage associant un thriller d’espionnage à une comédie absurde et cynique, le tout dans une atmosphère unique.

Jay est libraire et, à ses heures, écrivain non reconnu. Il se vante d’avoir en tête le roman de science-fiction qui devrait révolutionner le genre et, enfin, lui apporter la reconnaissance. À moins que, trop en avance sur son temps, la célébrité ne lui soit accordée que post mortem. Il possède un frère, qu’il ne voit plus, et un seul ami. D’une assurance inouïe, Jay est, objectivement, insupportable.
Si Matt Kindt aime les récits d’espionnage, il sait varier ses approches. Spy superb pourrait être une étude clinique sur le concept d’ « idiot utile » ultime. L’idiot utile, que l’on ne confondra pas avec la chèvre, qui est un simple appas, a le mérite d’être sacrifiable, pensez à Barry Seal. L’idiot utile, comme La Chèvre de Francis Veber, peut aussi être, à ses dépens, drôle. Il a fourni le pitch de nombreuses comédies. Historiquement, la paternité du concept est attribuée à Lénine, un expert en manipulation peu regardant sur les bilans humains.
Le cadavre de Spy Superb, le meilleur agent de l’agence Half-Huit, est retrouvé dans le coffre d’une voiture. Depuis des décennies, le nom de Spy Suberb s’est imposé dans les milieux du renseignement comme une légende d’invincibilité. Mieux, sa véritable identité est demeurée inconnue. Pas étonnant, si l’on sait que Spy Superb n’existe pas. En effet, le rôle est confié par Half-Huit à des amateurs, pas nécessairement prévenus, qui se voient attribuer des missions dangereuses, dont peu reviennent. Quitte à assumer un cynisme absolu, le meilleur espion est celui qui ignore qu’il en est un. Il ne trahira pas, ne se plaindra pas et est aisément remplaçable. Jay est le candidat idéal pour le poste. Par chance, une chance inconcevable qui confine à l’absurde, Jay survit à sa première mission. Dès lors, ses adversaires s’entretuent avec application, avant que l’un d’eux, une espionne triple, ne se décide à trahir l’un de ses mandants et à confier à Jay un nouveau rôle.
Scénariste prolifique et dessinateur intermittent, Kindt reprend le style très particulier expérimenté sur sa série Mind Mgmt, un trait faussement simpliste, mais expressif et travaillé. La mise en scène et les cadrages sont justes. Le traitement des rares mais brutales scènes d’actions rappelle celui des shōnen. La violence du trait est comme apaisée par la très fine mise en couleur, étonnement douce et aquarellée. Pour qui y prend garde, l’atmosphère de cet univers est unique.
Le lecteur sortira de cette expérience surpris, si ce n’est ébranlé, par cet hommage dessiné, certes lointain, à John Wick et aux sketchs des Monty Python.
Stéphane de Boysson
Spy superb, l’espion ultime
Scénario et dessin : Matt Kindt
Colorisation : Sharlene Kindt
Éditeur : Futuropolis
160 pages – 25 €
Parution : 12 mars 2025
Spy superb, l’espion ultime — Extrait :
