Pari osé et réussi de s’attaquer à un monument littéraire pour réhabiliter Milady. Je voulais vivre est un roman de cape et d’épée passionnant et audacieux dans les coulisses des Trois Mousquetaires.

Qui ne connaît pas Milady de Winter, son goût pour l’intrigue et sa duplicité ? Alexandre Dumas a créé un personnage détestable à souhait pour servir la cause de ses Mousquetaires. Dans Je voulais vivre, avec beaucoup de talent et de maîtrise, Adélaïde de Clermont-Tonnerre a pris le contrepied du personnage créé par le grand Dumas.
Les apparences sont trompeuses, telle pourrait être la phrase d’accroche du roman. Milady : femme forte et indépendante à une époque où elles devaient être faibles, femme honnie qui a tué le grand amour de d’Artagnan, femme intrigante et courtisane qui séduit les hommes, femme traîtresse qui a ourdi un complot contre la reine Anne d’Autriche. Voilà ce que l’imaginaire collectif retient d’elle. Elle a traversé les époques en compagnie des Trois Mousquetaires depuis sa naissance littéraire au milieu du 19ème siècle, toujours haïssable, au gré de mille et une adaptations, dont la dernière en date est toute récente.
Je voulais vivre ne réécrit pas la vie de Milady, ni sa fin que tout bon lecteur de Dumas trouve méritée. Adélaïde de Clermont-Tonnerre s’immisce avec une grande intelligence dans les coulisses de l’Histoire avec un grand H et de celle des Mousquetaires pour raconter la vie de Milady, mais sous le prisme des secrets et des malheurs qui l’ont forgée. Elle n’en fait pas non plus une oie blanche ni une ingénue, loin de là. Seulement, là où un homme aurait été taxé de courage, Milady a été accusée d’indécence. Là où un homme aurait été qualifié d’intelligent, Milady a été jugée machiavélique.
Adélaïde de Clermont-Tonnerre embrasse toute la légende des Mousquetaires pour raconter Milady. Au gré de sauts de puce dans le temps, elle fait parler l’enfant, la femme amoureuse et la femme trahie qu’elle a été. Tout commence en 1609, quand enfant, elle arrive blessée et désormais orpheline dans un presbytère de Bourgogne. Recueillie par un prêtre qui s’attache à elle, elle guérira peu à peu de son premier chagrin. S’ensuit une ascension sociale acquise grâce à son intelligence et au prix de sacrifices, dans un unique but : venger sa famille : « Milady n’est pas une femme qui pleure… Elle est de celles qui se vengent ». Elle aspire à la paix du cœur et de l’esprit, une fois la vengeance acquise.
Nous la suivons à différentes époques de sa courte vie, en ayant la sensation de découvrir les coulisses de l’histoire des Mousquetaires. Pour mettre en perspective les faits et méfaits de l’héroïne, l’autrice fait appel au plus célèbre d’entre eux, D’Artagnan. Nous sommes alors en 1679, au siège de Maastricht. D’Artagnan est au crépuscule de sa vie et ressent le besoin de se confier à son second. Ses souvenirs aux allures de confession l’obligent à la sincérité.
Le récit est extrêmement bien mené, avec ce qu’il faut d’aventures pour embarquer le lecteur. Les dialogues sont savamment écrits pour correspondre au 17ème siècle sans être empesés. Les rebondissements arrivent toujours à point nommés et démantèlent les certitudes du lecteur sur Milady.
Notre sentiment de justice rendue est ébranlé en refermant ce roman. L’émotion nous étreint, les regrets sont là. Quelle autre histoire aurait pu nous conter Alexandre Dumas ? Que savait-il des secrets de Milady ? A-t-il été triste de la traiter de la sorte ? Après la lecture de Je voulais vivre, vous continuerez à aimer les Mousquetaires, mais vous éprouverez aussi désormais de la tendresse pour Milady. L’impression d’avoir été au-delà de l’imaginaire collectif pour découvrir la nature profonde des personnages est déroutante et réjouissante.
Mille bravos à Adélaïde de Clermont-Tonnerre, qui a su redonner ses lettres de noblesse à une femme de la littérature détestée depuis toujours et par tous, sans tomber ni dans la caricature, ni dans l’excès.
Caroline Martin