Après plus de dix ans à faire la pluie et le beau temps de l’art-pop new-yorkaise, Dev Hynes se reconnecte à ses racines anglaises sur Essex Honey, son cinquième album sous le pseudo de Blood Orange. Une folk mélancolique, orchestrale, brillamment produite et aux arrangements raffinés.

Petit prince de la pop arty new-yorkaise des 2010’s, Blood Orange est devenu au fil d’une discographie irréprochable l’un des noms les plus prisés en studio. Dépassant le simple cadre de la musique indie, on le retrouvait aussi bien chez Carly Rae Jepsen, Britney Spears qu’avec Solange, Sky Ferreira, Turnstile ou même la scène rap en compagnie de Mac Miller et Asap Rocky. Une polyvalence bienvenue qui peut aussi avoir ses limites puisque depuis 2018 et l’excellent Negro Swan, il n’y avait plus trace de travail pour lui-même, à l’exception de quelques titres parsemés ci et là.
Il a donc fallu sortir de ce rythme effréné pour s’offrir une introspection nécessaire. Comme souvent dans ces cas-là, un élément extérieur vient déclencher le processus et ici la perte de sa mère va jouer le rôle de catalyseur. Et c’est dans son Essex natal, un peu à l’est de Londres, que l’artiste puise sa force et son inspiration nouvelle. Car oui, avant d’être un ponte de la Grosse Pomme, Dev Hynes est d’abord un petit anglais sous influences folk orchestrale qui va faire son trou sous le nom de Lightspeed Champion et connaître ses premiers succès d’estime à grand échelle.
Ce Essex Honey est le pont entre ces deux mondes. Là où les précédents albums étiquetés Blood Orange misait sur un spleen plein de groove rond et de sensualité soul/R&B, l’ambiance est ici moins voluptueuse tout en gardant cette si belle et hypnotique mélancolie. On retrouve plutôt les compositions indie-folk du « monde d’avant » auxquelles Hynes ajoute la richesse musicale de son bagage accumulé depuis, à savoir une pop aux arrangements raffinées.
Plutôt que de jouer la carte de la démonstration, la juxtaposition des idées et des surcouches, Blood Orange privilégie le dépouillement, le contemplatif d’où la lumière finit toujours par surgir d’une mélodie, d’une rupture de rythme, d’un instrument – piano, violoncelle, harmonica au choix – ou des voix invitées en chorale d’arrière-plan (et à ce petit jeu on retrouve quelques jolis noms, de Lorde à Mustafa en passant par Caroline Polachek ou Tirzah). Les silences ont ici une place de choix, l’impression que les morceaux lévitent, attendent d’éclater sans pour autant les étirer à l’infini.
C’est d’une beauté désarmante de bout en bout, parfaitement composé avec des sommets d’émotions tels que Somewhere in Between, Vivid Light ou le très touchant single Mind Loaded. L’écriture s’inscrit évidemment dans cette lignée, avec des thématiques très personnelles basées sur le deuil, l’acceptation de soi, les racines, les déceptions. Rien de bien original mais toujours traité avec le même soin que celui apporté à la production.
Parce qu’on ne se refait jamais vraiment, Life ou Countryside viennent tout de même apporter le petit côté sexy langoureux signature du garçon, qu’il maitrise toujours aussi parfaitement. Tout en restant sur cette même tonalité d’acoustique sophistiquée mais dénudée. Un modèle d’homogénéité que l’on retrouve également sur le plus entraînant The Train au rythme soutenu mais qui s’inscrit pleinement dans l’ambiance générale.
Un retour plus que réussi pour Blood Orange et ce dans tous les sens du terme. Retour d’un point de vue temporalité d’abord, mais aussi un retour aux sources de sa créativité pour l’incorporer à ce qu’il est aujourd’hui d’un point de vue artistique et humain. Un accomplissement personnel sans le moindre doute.
Alexandre De Freitas