« Finistère » d’Anne Berest : un hommage posthume à la lignée paternelle

Anne Berest poursuite sa réflexion sur les transmissions invisibles entre générations en balayant l’histoire familiale et celle de la Bretagne dans une trame romanesque. Finistère est aussi l’occasion de revenir sur la pudeur et le caractère taiseux de son père, décédé pendant l’écriture du livre. Le roman devient alors un beau message d’amour d’une fille à son père.

Anne Berest- 2025
© Pascal Ito

Le précédent roman d’Anne Berest, La carte postale, qui raconte l’histoire de sa famille maternelle, a connu un succès fulgurant dès de sa sortie en 2021. En pleine promotion du livre, période qui n’aurait dû être que joyeuse, l’autrice apprend que son père est gravement malade. Elle se lance alors dans l’exploration de sa branche paternelle, espérant inconsciemment que ses recherches allaient lui permettre de se rapprocher de ce père distant. Cette quête des origines allait se transformer en son nouveau roman, Finistère.

finistereAnne Berest sait mêler avec talent la grande histoire à l’intime, elle l’a déjà prouvé. Elle retrace dans Finistère l’histoire de la Bretagne et de ses habitants en racontant la vie de son arrière-grand-père et de ses descendants, très engagés politiquement de père en fils. Elle imagine alors leurs espoirs et leurs tourments dans un monde sans cesse changeant.

Les premières recherches d’Anne Berest emmène le lecteur à la pointe nord-ouest du Finistère, dans le pays de Léon au début du 20ème siècle. Les Bretons fournissent la capitale en artichauts et autres denrées, mais les agriculteurs, sans structure commune ou syndicat, subissent la pression des négociants qui leur imposent des prix bas. Arrive alors un jeune homme de Brest, Eugène Bérest (l’accent se perdra lors d’une déclaration de naissance dans quelques années…). Bien décidé à faire bouger les lignes, il réussit à créer la première coopérative agricole, la Bretonne, pour contrer l’offensive des négociants.

Le fils d’Eugène, baptisé du même prénom, a grandi sous les embruns du pays de Léon. Féru de lettres classiques, de latin et de grec, malgré le désir paternel de le garder comme collaborateur à la coopérative, le jeune homme part à en classe prépa à Paris. Eugène réalise alors le fossé qui existe entre les études parisiennes et leurs exigences et celles alors prodiguées en Bretagne. Peu de temps après son arrivée, la Seconde guerre mondiale éclate. Il connaîtra le Paris occupé avant de retrouver ses terres bretonnes. Il y restera et tiendra un rôle majeur dans le paysage politique local.

Le jeune Pierre, le père d’Anne Berest, a de grandes capacités en sciences et mathématiques. Il suivra la voie de son père et suivra une prépa à Paris. Après avoir échoué à Polytechnique, il deviendra un scientifique reconnu et spécialisé dans un domaine très abscond pour le commun des mortels… Il aura des appétences pour l’extrême gauche et s’engagera dans un mouvement politique après avoir vécu mai 68 en tant que jeune étudiant.

Il restera vivre à Paris, y conservera ses amis rencontrés lors de ses études et connaîtra sa femme dans les couloirs de Polytech. Naîtront alors les trois sœurs Berest. Tous les ans, les vacances se passeront en Bretagne. Les fillettes apprendront à pêcher les crevettes et les couteaux, les pieds nus dans l’eau glacée. Des souvenirs de transhumance estivale d’Anne Berest demeureront des images de la gare Montparnasse les jours de grands départs, de trains Corail puis TGV et de valises remplies de bouquins pour ses chercheurs de parents.

Si le père d’Anne Berest a été un papa proche de ses enfants, l’autrice a le sentiment qu’il s’en est éloigné quand elles sont devenues femmes. Elle a l’impression de l’avoir déçu en s’écartant de certaines de ses valeurs, en choisissant une vie qui ne correspondait pas forcément à ses aspirations.

Et c’est là que réside la beauté du roman, dans lequel s’immiscent les réflexions d’Anne Berest sur sa vie et sa famille. Elle réalise que cette lignée de taiseux, qui ont laissé leurs enfants accomplir leurs rêves, s’est poursuivie jusqu’aux filles Berest. L’amour d’un parent à son enfant se traduit aussi par la liberté qu’il lui apprend et lui lègue ensuite. En la matière, elles ont reçu quantité de preuves d’amour. Et si les regrets pointent à la fin, si l’urgence du moment et la maladie ont réduit le temps, si la pudeur ne s’est pas effacée, restent tous les moments aimés qui sont si précieux.

Ce roman est une très belle déclaration d’amour à un père. Encore une belle réussite littéraire d’Anne Berest, composée de vie réelle et de romanesque.

Caroline Martin

Finistère
Roman d’Anne Berest
Editeur : Albin Michel
432 pages, 23,90 euros
Date de parution : 20 août 2025

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