L’écrivain belge de langue française a connu le succès en 2021 avec « Mahmoud ou la montée des eaux », unanimement salué et lauréat de nombreux prix comme celui du Livre Inter 2022. Il revient avec un court roman aussi douloureux que lumineux qui explore les malédictions qui touchent ceux dont l’histoire est ensevelie sous le silence et qui brûle d’un feu intérieur qui les pousse à tenter de les briser.

« Je crois que certains êtres ne nous quittent pas, même quand ils meurent. Ils disparaissent, or ils sont là. Ils n’existent plus, or ils rôdent, parlant à travers nous, riant, rêvant nos rêves. De même, quand on pense les avoir oubliés, certains lieux ne nous quittent pas. Ils nous habitent, nous hantent, au point que je ne suis pas loin de croire que ce sont eux qui écrivent nos vies. La Haute-Folie est un de ces lieux. Toute notre histoire tient dans son nom. »
Dès les premières pages, le récit se fait tragédie antique. D’abord, il y a ce titre, Haute-Folie, le nom d’une ferme, symboliquement fort comme si la toponymie préfigurait ce qu’au fil des pages le personnage principal allait ressentir, comme si elle pouvait conditionner sa trajectoire, annonçant ainsi un fatum implacable contre lequel il serait presque insensé de lutter.
La scène d’ouverture, grandiose, ouvre la tragédie. Un incendie lié à un orage ravage la ferme de Haute-Folie et précipite la chute de la famille qui y vivait. Les parents de Josef vont tout perdre jusqu’à laisser leur fils orphelin. Dès ses trois ans, ce dernier sera élevé par son oncle et ses tantes, des paysans aimants mais qui lui confisquent son histoire et donc l’accès à ses origines : ne jamais parler de ce qui est arrivé aux parents, c’est tabou.
« Qu’importe si celui qui s’apprête à briser le silence, si celui qui parle après que toute sa lignée s’est tue, si celui-là est pris pour un menteur ou pour un fou. A ce moment de mon histoire, moi, je ne pouvais plus faire autrement. Les trous d’ombre qui avaient digéré ma mémoire, je devais y plonger. (…) peut-être que ce qu’on croit avoir perdu continue de vivre en nous, comme dans une petite chambre à cheval entre mémoire et oubli, ou plus exactement, une petite chambre de mémoire en plein cœur de l’oubli. »
Josef, on va le suivre de son enfance jusqu’à sa mort. C’est celui qui veut affronter son destin, c’est celui qui veut savoir, qui veut sortir des ornières tracées par les autres. C’est celui qui va partir et essayer toute sa vie d’échapper au déterminisme tragique pour transformer la folie de ses parents en autre chose, en traçant sa route sans reproduire.
« L’histoire d’une famille est l’histoire de motifs qui reviennent au fil des âges, à l’identique ou presque, mêmes failles, mêmes pertes, mêmes amours, mêmes stupeurs. On ne fait que repasser par les mêmes points. Tout a lieu dans des corps différents, mais l’histoire se rejoue, c’est la même. Le passé est une chose longue et lente à guérir On le croit derrière nous alors qu’il est devant, qu’il nous mène et nous guide. C’est un cercle. Une boucle».
le passé commande, le vieil incendie continue à brûler, la peine prend la main
Antoine Wauters parle magnifiquement de ces silence qui rongent et de la transmission des traumatismes. Ces thèmes reviennent de façon lancinante durant tout le récit, comme un motif qui menace d’étouffer Josef. Stylistiquement, son écriture est traversée de fulgurances sculptées à vif. Elle trace une ligne claire avec une économie de mots qui cherche l’épure. Extrêmement déliée, elle sait se faire baroque au début du roman pour raconter le terrible incendie et ses conséquences, puis se resserre, s’assèche, joue sur les ellipses pour mieux faire sentir un silence qui semble s’immiscer dans chaque page.
Cette recherche esthétique très contrôlée ne permet pas nécessairement à l’émotion de s’écouler, on peut avoir l’impression d’être placé en surplomb de l’histoire du héros, pas totalement investi mais grandement impressionné par la beauté des mots déployés. Par contre, jamais on ne décroche, on veut savoir comment Josef, le briseur de silence, guetté par la folie, va affronter un fatum qui semble difficile à contrer. La construction est très habile, maintenant un certain suspens en faisant apparaître un narrateur omniscient qui n’est pas Josef, et dont on ne connaîtra l’identité qu’à la toute fin. Et c’est justement là, que l’émotion nous cueille, en toute simplicité.
Marie-Laure Kirzy