Il faut saluer cette sympathique mise en images du combat des femmes du Kurdistan : il n’y a pas que des barbus au Moyen-Orient. Avec Rojava, Ducoudray et Morice signent une BD documentée, aussi juste qu’indispensable.

La rentrée littéraire c’est aussi des albums BD : voici Rojava avec Aurélien Ducoudray au scénario et Sébastien Morice au dessin. Sa formation d’architecte permet à S. Morice de se montrer très réaliste dans les scènes de guérilla urbaine au cœur des ruines syriennes et A. Ducoudray a réalisé de son côté un gros travail de documentation pour décrire cet épisode de la guerre civile syrienne. Un second épisode est programmé : on a déjà hâte !
L’héroïne, Rojava, est une très jeune femme kurde (16 ans !) qui s’engage comme tireuse d’élite dans les YPJ, la déclinaison féminine (depuis 2013) des YPG (Yekîneyên Parastina Gel : Unités de protection du peuple), la branche armée de la lutte pour l’indépendance du Kurdistan au Moyen-Orient. La nouveauté peut-être, c’est que les dirigeants des unités YPJ sont des dirigeantes, leurs chefs sont des cheffes, et ça c’est un peu nouveau dans l’histoire du combat au féminin. Leur cri de ralliement : « La vie ! La femme ! La liberté ! ». L’ironie de la chose (si ironie il y a ici), c’est qu’elles sont devenues les bêtes noires de Daesh : aux yeux des barbus intégristes, se faire tuer par une femme est déshonorant et ferme la porte du paradis… Rojava c’est aussi le nom de la région du nord de la Syrie, c’est donc la partie sud-ouest du Kurdistan.
Lorsque Rojava débarque dans l’album, elle tient le rôle principal dans un reportage YouTube filmé par des journalistes occidentaux, ce qui ne plait pas forcément à la commandante de la section, Rukan. Pour la petite histoire, A. Ducoudray a eu cette idée en lisant (chez son dentiste !) un reportage photo de Paris-Match sur des combattantes kurdes vêtues de propre, maquillées, baskets neuves aux pieds, comme à la Fashion Week : sans doute un peu d’habile propagande de la part du PKK !
Au premier abord, on pourrait croire à une BD pour ados, mièvre et éducative : l’héroïne est moitié sniper moitié youtubeuse et il y a même dans l’équipe une gamine qui collectionne les photos de martyrs !? De plus, A. Ducoudray parsème son récit de blagues anti-Daesh histoire de détendre un peu une atmosphère de guérilla pour le moins tendue. Mais ce n’est qu’une amusante façade, et le propos, très documenté, va s’avérer bien plus sérieux que cela : « Après mon premier affrontement, j’ai décidé de ne plus avoir mes règles… À partir de là, j’étais dans un monde où il n’y avait plus que la mort, donc continuer chaque mois d’avoir un rappel que je pouvais donner la vie, ça ne coïncidait pas avec ce que je vivais… »
Ou bien encore : «Tiens, mets ce caillou dans ton slip. Chaque fois que tu seras couchée pour tirer, ça te griffera le ventre et tu t’endormiras pas … Le confort c’est l’ennemi du sniper. » Pour cette dernière anecdote, A. Ducoudray s’est sans doute inspiré du livre de Azad Cudi, célèbre sniper kurde iranien (Sniper – Ma guerre contre Daech, éditions Nouveau Monde).
On sait que les guerres changent les pays et les frontières, mais aussi les habitants et les mœurs. Les américains l’ont découvert à la fin de la Seconde Guerre Mondiale quand les Noirs sont revenus au pays après avoir servi dans les armes et été acclamés en libérateurs en Europe… tout comme les Blancs, ou bien encore quand les GI sont rentrés chez eux et ont retrouvé des femmes qui avaient pris les affaires en main… en leur absence.
Les femmes des brigades YPJ espèrent qu’il en sera de même au Kurdistan, si du moins ces guerres prennent fin un jour : « Contre Daesh, on est tous égaux, mais après ? Ils me respectent parce que j’ai un fusil et un uniforme. Change le costume, le respect part avec. Notre plus grand combat après Daesh, sera celui d’une société mixte vraiment égalitaire. »
Les dessins de Sébastien Morice sont ceux d’une belle ligne claire et laissent toute la place à l’intrigue et aux personnages, dessinés et typés avec soin. On a déjà évoqué son passé d’architecte et la colorisation comme les éclairages font ressortir les différentes ambiances : le bleu pour la nuit sur la terrasse, le rouge au fond des tunnels creusés sous la ville, les ocres du désert…
Bruno Ménétrier
Rojava (tome 1)
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessin : Sébastien Morice
Editeur : Bamboo / Grand Angle
56 pages – 15,90 €
Date de parution : 27 août 2025
Rojava – Extrait :
