Après plusieurs albums plus ou moins heureux, les anciens sales gosses de Black Lips font dans l’esprit jukebox et s’offre une odyssée rock inspirée. Tour à tour country, punk, garage voire soul, avec toujours cet esprit psychédélique et complètement barré. Fun !

Qu’il est loin le temps où Black Lips étaient vu comme les prometteurs enfants terribles du rock américain, enregistrant un album (Arabia Mountain, 2011) en compagnie de Mark Ronson dans le rôle du producteur exécutif – l’ancien membre Ian St. Pe disait à l’époque « nous étions les ploucs du Sud en train d’enregistrer au milieu des Grammys pour Amy Winehouse, hallucinant !« . Pas réellement faits pour les spotlights, le groupe d’Atlanta a continué de tracer sa route comme si de rien était, gardant comme cap sa liberté artistique la plus totale et son goût pour l’exploration d’un genre qu’il se plait à arpenter en long, en large et en travers.
Avec les années, le band a troqué ses habits de clowns trash et provocs sur scène pour devenir au fil des sorties un fier étendard du rock de l’Amérique profonde. Pas la divisée non, plutôt celle qui arbore son plus beau chapeau de cow-boy tout en se défonçant aux acides. Celle des plaines, de la Country mais en même temps inclusive (l’artiste et modeuse Zumi Rosow a rejoint l’équipe en 2017). Une ambivalence devenue force de proposition, offrant une mine d’or d’influences et implacablement d’inspirations sonores.
C’est ainsi que Season of the Peach, onzième disque estampillé Black Lips, se veut être un juke-box résolument psychédélique mais d’une richesse musicale bluffante. Enregistré sur bandes analogiques, l’album sonne vintage, DIY, volontairement un peu sale et parcourt à peu près tous les sous-genres du rock’n’roll. En une dizaine de minutes et cinq titres, la démarche est captée. Le bal s’ouvre sur une ballade folk-flower avec The Illusion part Two, on enchaîne sur du country barré avec Zulu Saints, Sx Sx Sx Men sent la sueur garage puis Wild One fait dans le western planant et enfin l’électrique mid-tempo So Far Gone rappelle les premières heures du groupe.
La déclinaison des styles peut continuer encore longtemps : Baptism in the Death House verse dans le punk-blues, Judas Pig aurait pu figurer sur n’importe quel opus hallucinogène de la fin des 60’s, les plus accessibles Kassandra et Tippy Tongue sont clairement les cautions pop-psyché de la tracklist là où le jubilatoire Happy Place va sans doute permettre à ces excités du bulbe de casser encore quelques guitares sur scène. On a même le droit à des élans de girl-group soul des sixties dans l’esprit Ronettes avec Hatman et le déjà nommé Tippy Tongue.
Une odyssée sonore pleine d’entrain, véritable terrain de jeu pour Cole Alexander et ses copains qui ici reviennent un peu à l’essentiel, là où certains de leurs derniers albums semblaient être d’abord des expérimentations plus ou moins heureuses. On verse dans la nostalgie, dans des recettes reconnues mais avec cette étiquette déglingue/fun attachée à leur ADN. Un mantra assumé par Jared Swiley : « Nous essayons simplement de faire du rock et de passer un bon moment. J’espère qu’il reste un peu de place pour ça dans le monde, aussi merdique soit-il« .
Après vingt ans de carrière, Black Lips réussit donc à maintenir la forme et à retrouver même des couleurs. Season of the Peach coche toutes les cases de l’album cool sur lequel il est facile de revenir. On peut piocher dans le lot ou tout se faire d’un coup, le plaisir restera le même.
Alexandre De Freitas