Les Islandais de múm font un retour inespéré, pour ne pas dire inattendu, avec un History Of Silence qui atteint à nouveau les sommets de Finally We Are No One, leur chef d’œuvre de 2005. Un pied dans l’expérimentation onirique, l’autre dans la Pop, múm nous enchante.
Certains s’égarent dans le silence, comme une dilution de leur être, comme une évanescence de leurs pas. Certains cherchent dans le silence comme un chemin de traverse le long des rives d’un lac désert et fui par toute présence humaine. Certains, à force de s’égarer dans le silence, finissent par se perdre eux-mêmes. Se confronter et se laisser aller au silence est un acte de hasard, une lourde menace soyeuse, un danger omnipotent, la certitude d’un effacement volontaire ou comment disparaître complètement. Et puis il y a les autres, ceux qui se saisissent du silence comme d’une arme pour réactiver la poésie si absente de ce monde.
History Of Silence, le dernier ouvrage de múm, sorti il y a peu est, à sa manière si singulière, comme un manifeste, l’exhortation d’une esthétique propre et personnelle. Avouons-le franchement, les dernières productions des islandais ne nous avaient guère passionné, c’est dire si l’on attendait peu d’un groupe qui n’avait jamais réussi à dépasser leur coup de génie sur le sublime Finally We Are No One déjà vieux de vingt ans. C’est sans doute en renouant avec les atmosphères de l’album de 2005, avec cet équilibre parfait entre expérimentations empruntant plus à l’onirisme qu’à la cérébralité et une Pop aventureuse que múm renoue avec une inspiration sans limite. La musique de ces islandais a toujours été celle du murmure, celle du rêve mais un rêve à la manière du réalisme magique qui conjugue dans un même élan le réel le plus austère, le plus trivial avec l’émerveillement le plus tenace et la magie la plus illusoire. C’est de cette addition étrange que se répand le charme étrange de múm.
Pour paraphraser les propos de la regrettée réalisatrice franco-américaine Solveig Anspach dans son documentaire de 2001, Reykjavik, des elfes dans la ville, la musique de múm, c’est l’émergence de la magie, de l’extraordinaire dans le quotidien. Pour bien goûter à ces charmes étranges, il faudra savoir lâcher prise avec une certaine réalité morose, lâcher prise avec des points de repère, se laisser porter par les changements d’humeur de ce disque doucement caractériel. Evoluer des pistes d’une électro onirique vers une épure abstraite et diluée à la manière de Loren Connors, se laisser perdre dans les méandres d’une Torch Song flottante.
La musique de múm est fragile, sur le fil, à la bordure du silence et du murmure. Elle est sur le point de ne rien dire, elle voudrait tant se taire mais l’effort des islandais réside dans des désirs antagonistes, s’évaporer pour mieux exister. Dépasser les limites d’un corps qui encombre pour mieux se déployer dans l’espace infini. C’est sans doute cela qui explique cette versatilité propre à History Of Silence. Plus l’album évolue, plus le silence prend de la place au milieu de ces compositions sensuelles.
Qui n’a pas conscience de l’influence des paysages sur l’univers d’un musicien ne peut que s’en convaincre à l’écoute d’une oeuvre composée par un islandais. Il y a dans tout disque de ces insulaires une communauté d’esprit dans ce rapport ténu à la poésie, à un rapport pour le moins conflictuel avec la réalité. C’est cela qui réunit aussi bien Olafur Arnalds que Sigur Ros, que Bjork ou múm. Cet étrange rapport à notre monde, ce combat contre le silence, cette appropriation du silence, ce silence qui ne nous isole plus mais qui nous constitue, qui nous fait nous dans une version augmentée et supérieure.
C’est peu de dire que l’on n’attendait plus grand chose des Islandais de múm, la surprise n’en est que plus grande à l’écoute de History Of Silence, joyau fragile et sublime, timide rayon de soleil dans un ciel gris.
Greg Bod