Lauréat du prix Pulitzer 2024, Les sentinelles est un roman sur la résilience et la guérison des plaies infligées aux corps et aux âmes durant la guerre. C’est aussi l’occasion pour Jayne Anne Phillips de revenir sur un acte fondateur des Etats-Unis, la guerre de Sécession. Ce roman historique trouve une résonnance toute particulière dans l’actualité.

J’ai eu la chance d’assister à une rencontre en présence de Jayne Anne Phillips et de son éditrice française, organisée lors du Livre sur la Place à Nancy. Il a été question des personnages, du choix du titre du livre, des thèmes abordés et de la situation politique actuelle.
Le roman se déroule dans la région montagneuse des Appalaches en Virginie occidentale avec des aller-retours entre 1874, soit 9 ans après la fin de la guerre civile et 1864, en plein conflit. Originaire de cet état, Jayne Anne Phillips relate les heures les plus sombres en Virginie Occidentale et comment les traumas de la guerre étaient soignés presque dix ans plus tard.
La notion de santé mentale commençait à émerger, même si les causes alors évoquées relevaient pour certaines des croyances religieuses et de la pudibonderie. Jayne Anne Phillips mêle fiction et faits historiques, ce qui ajoute de la crédibilité et de l’intérêt au récit. Elle a mené de nombreuses recherches qui ont étayé son histoire. Le lecteur découvre également au gré des pages des photographies d’époque, des tableaux, des écrits, qui illustrent le roman.
L’asile dans lequel se passe une grande partie de l’intrigue a réellement existé, le médecin qui l’a fondé également. Il prônait d’ailleurs des pratiques très avant-gardistes pour soigner les malades. Les photographies des lieux et des personnages rendent les scènes décrites d’autant plus vivantes.
Les personnages féminins sont très présents dans Les sentinelles. Jayne Anne Phillips a créé une belle galerie de femmes fortes : Dearbhla, la vieille femme qui sait utiliser les ressources offertes par la nature pour soigner et vivre cachée dans la montagne ; Janet/Eliza, la jeune mère de famille qui s’enferme dans le silence pour survivre ; ConaLee, la fille, qui protège ses jeunes frères en remplaçant sa mère effacée. Ces trois femmes sont liées par une intuition qui dépasse la raison et qui les sauve.
Les sentinelles est le titre français, le titre anglais est Nightwatch, le « veilleur de nuit ». Si le titre anglais met l’accent sur le personnage de l’homme au passé mystérieux, le titre français fait référence à une palette plus large de personnages qui prennent soin les uns des autres. Les sentinelles du roman sont aussi bien le médecin et le veilleur de nuit, que les femmes qui sont les personnages centraux du livre.
Les sentinelles est aussi un roman historique : il relate des épisodes de la guerre de Sécession, qui a divisé le Nord et le Sud des Etats-Unis pendant cinq années. Il résonne cependant très fort avec le monde actuel. Une division de plus en plus prégnante entre deux idéologies s’instaure dans notre monde occidental, et en particulier aux Etats-Unis. En cela, ce roman est très actuel. Il l’est aussi sur les besoins de soins prodigués aux malades victimes de guerre, que ce soit les soldats blessés au front ou les femmes restées à l’arrière. Le récit est transposable pour chaque conflit, chaque guerre.
Le souffle romanesque n’est pas en reste dans ce récit aux multiples facettes. Il ne faut pas trop en dévoiler pour garder le suspense.
Les sentinelles est un bel hommage aux nombreuses victimes silencieuses de la guerre. Il porte l’espoir de la guérison et de la résilience et appelle à veiller sur ceux qui nous sont chers.
Caroline Martin