Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : aujourd’hui, le Parallel Lines de Blondie, quintessence pop-punk ou pilier du Power Pop…

Pas facile de se faire remarquer en sortant un album en 1978, année d’une richesse incroyable. Et pourtant, c’est ce que réussit à faire Blondie avec son troisième album, Parallel Lines. Ventes par millions (plus de vingt), critiques dithyrambiques, et un disque qui règne sur les charts (occupant la première place au Royaume-Uni, et la sixième aux USA). Et surtout un album qui s’impose dans la durée comme le marqueur de son époque, et une synthèse unique de genres.
Après deux premiers LP (Blondie en 1976, et surtout Plastic Letters en 1977), qui avaient déjà attiré l’attention, Blondie explose et devient l’un des groupes majeurs de… la décennie ? Au moins ! En tout cas, Parallel Lines est l’un des albums les plus importants des années 1970, et probablement au-delà. En le réécoutant aujourd’hui, on comprend : Parallel Lines n’a pas pris une ride (… et je ne laisserai personne dire le contraire !). Difficile de trouver un mauvais morceau, un moment faible parmi les 12 chansons qui le composent. Tous les titres sont bons, pour des raisons différentes, dans des registres différents. Et pour ça, on dit d’abord : merci Mike ! Et bravo ! Parce que derrière le succès, il y a d’abord un producteur, Mike Chapman. L’histoire raconte que c’est lui qui a contacté le groupe, mais aussi que l’enregistrement de l’album fut une belle galère. Les membres du groupe ne s’aimaient pas, Chris Stein (le guitariste) était trop souvent sous l’emprise de substances peu recommandables, et les chansons n’étaient pas assez écrites (alors même que le groupe en jouait certaines sur scène). Pourtant, six semaines (au lieu des six mois prévus) suffisent pour produire ce chef-d’œuvre ! De vrais chansons, des mélodies sans faute, des riffs magiques, et une voix…
Oui, même si cela semble un peu trop facile, on ne peut pas ignorer que l’un des ingrédients de ce succès tient dans la « frontwoman », Debbie Harry. D’abord parce que, je m’en souviens très bien également, Blondie a rapidement été assimilé à sa chanteuse, au point que la promo de la tournée de 1978 mettait en avant, en rose et en t-shirts, pins, posters « Blondie is a group ». Il faut bien dire que l’attitude et la voix de Debbie Harry jouent un rôle dans cette image. Déjà, la pochette donne le ton : devant les six membres du groupe, sourires bonasses, l’air un peu bravache mais pas trop, Debbie Harry pose les poings sur les hanches, ne souriant pas mais affichant plutôt un air de « il ne faut pas me la faire… ». Et, la lui faire, on ne peut pas ! On n’a pas envie d’essayer et on ne veut pas. Elle s’impose sur chaque morceau avec une voix fantastique, suave et sucrée quand il faut, mordante à d’autres moments. Elle navigue entre les registres, entre les chansons d’amour et les morceaux punks ou disco avec une aisance déconcertante. Elle est devant, elle assume et donne à l’album une force incroyable. On se rappelle des morceaux parce qu’ils sont bons. Et parce que c’est Debbie Harry qui les chante. Ce n’est pas encore la voix de Call me, qui aura un peu plus d’aspérités, mais c’est déjà une merveille.
Prenez le premier morceau de l’album, l’explosif Hanging on the Telephone. Cette reprise d’un bon titre d’un groupe éphémère, The Nerves, est fantastique. La musique est plus dense, plus rapide et nerveuse que l’originale, ornée d’un superbe solo. La mélodie, imparable, est la même que celle de l’original. Debbie Harry réussit à lui donner un éclat et une profondeur incroyables. Elle réussit le même type de prestation sur One Way or Another, le second morceau de l’album : autre morceau explosif, autre morceau de power pop féministe, sur lequel elle menace sans détour et sans hésitation, répétant d’une voix énervée « One way, or another, I’m gonna find ya, I’m gonna get ya, get ya, get ya, get ya… » (D’une manière ou d’une autre, je vais te trouver, je vais t’avoir, t’avoir, t’avoir, t’avoir…). Dans le genre punk, énergique et musclé, avec des riffs contagieux, on trouve aussi Will Anything Happen?, I’m Gonna Love You Too, ou encore Just Go Away, tout en batterie et guitares, un morceau féministe – sur lequel Debbie Harry, caustique et mordante, chante « Don’t go away mad, Don’t go away sad, Just go away » (Ne pars pas en colère, Ne pars pas triste, Dégage, tout simplement !)… un refrain quand même repris en chœur par les mecs du groupe !
Intermède : Fade Away and Radiate, un morceau un peu étrange au milieu de cet ensemble pop-punk-rock. Pas le grand titre de l’album, pas ce qui représente le groupe, mais quelque chose d’intéressant et de différent : planant, un peu plus long que les autres pistes, bien plus sombre et sans l’ironie et le mordant du reste de l’album, un côté gothique, avec la belle guitare de Robert Fripp.
Et puis il y a la partie la plus pop de l’album. Le lumineux Picture This, entre banalité domestique et envolées lyriques quasi romantiques, une chanson d’amour : « All I want is a room with a view, a sight worth seeing, a vision of you » (Tout ce que je veux, c’est une chambre avec vue, un spectacle qui vaut la peine d’être vu, une vision de toi)… Tout un programme, surtout quand Debbie Harry rajoute « All I want is 20/20 vision, a total portrait with no omissions » (Tout ce que je veux, c’est une vision 20/20, un portrait total sans omissions).
Les beaux et mélancoliques 11:59 et Pretty Baby, hommage à Brooke Shields. Le funky (et avec un superbe solo de guitare) I Know But I Don’t Know (chanté par le bassiste Nigel Harrison). Et surtout ce qui reste comme les pièces de résistance, les super hits dans un album déjà plein de hits : tout d’abord, Sunday Girl, pop rétro sixties, ballade sucrée, un énorme succès, légèrement swinguant, avec la voix de Debbie Harry légère et suave à la fois : et puis, bien sûr, Parallel Lines est l’album sur lequel se trouve Heart of Glass… Autre piste doucement sucrée, énormissime succès, devenue une partie intégrante de la culture populaire de la seconde moitié du XXème siècle. La voix de Debbie Harry fait des merveilles de nouveau, lisse, sans les changements de registre des autres morceaux, mais parfaite pour raconter cette histoire de rupture avec ironie sur un rythme disco imparable : « Once I had a love and it was a gas / Soon turned out he had a heart of glass / Soon turned out to be a pain in the ass » (Une fois, j’ai eu un amour et c’était génial / Il s’est vite avéré qu’il avait un cœur de verre / Il s’est vite avéré que c’était une vraie plaie !).
Alain Marciano