Les Sudistes de Wednesday sont de retour, et Bleeds va mettre tout le monde d’accord. Alternant ballades folk et noise rock extrême, le groupe mené par Karly Hartzman délivre ni plus ni moins que l’un des meilleurs albums de l’année.

Wednesday avait reçu son lot d’éloges au moment de la sortie de Rat Saw God en 2023. Avec cette synthèse quasi parfaite d’Americana et de Noise Rock sans compromission, le groupe avait réussi l’album indie rock de l’année, et révélé à un plus large public le talent de Karly Hartzman, sa voix extraordinaire et ses paroles inscrites au plus profond du sud gothique. Mais le groupe au grand complet méritait les louanges, aussi bon dans les ambiances apaisées que dans les brûlots comme Bull Believer. L’année 2024 a marqué la fin d’une époque, avec bien entendu l’émancipation du guitariste MJ Lenderman, parti voler de ses propres ailes après sa rupture sentimentale avec Hartzman. Lenderman ne fait plus les tournées du groupe, mais participe encore au travail en studio. Son album Manning Fireworks s’est révélé être l’une des sensations de l’année, et a généré encore plus d’attente pour le nouveau Wednesday, qui sort ces jours-ci et qui est… totalement sensationnel. Globalement dans la ligne de Rat Saw God, Bleeds va encore plus loin dans le grand écart entre des ballades somptueuses et le Hardcore.
Reality TV Argument Bleeds démarre sur un crescendo de guitares saturées avant une explosion dissonante s’arrêtant net, avec une Hartzman habitée dont le chant n’est pas sans rappeler celui de Courtney Love. Pas le genre de titres que vous allez pouvoir proposer en musique de fond à l’apero. Mais si l’album reste dans la lignée de l’ambiance de Rat Saw God, la suite va être plus surprenante. Townies est du pur indie rock à la Breeders. Aidée par une mélodie en apesanteur, c’est partie pour une première description de la vie en Caroline du Nord : “Went to a party in the county / Stokin’ bonfires with leaf blowers / He got you in the back of his car / Just your sneakers and your drawers / Group of girls went around tellin’ / Everywhere you fooled around / And gave you a strong reputation” (Je suis allé à une fête dans le comté / On attisait les feux de camp avec des souffleurs de feuilles / Il t’a embarquée à l’arrière de sa voiture / Juste tes baskets et tes sous-vêtements / Un groupe de filles a fait le tour en racontant / Partout où tu t’étais amusée / Et t’a donné une sacrée réputation).
Le disque est rempli de ces histoires locales, souvent très sombres (Il y a de nombreux morts et cadavres tout du long des 36 minutes) et qui vont récompenser celui qui prend la peine de lire les paroles. Que les non anglophones ne partent pas, la musique va être amplement suffisante pour vous sustenter, et à commencer par l’intense Would Up Here (By Holdin On) qui sera particulièrement apprécié par les fans de Pavement ou de Built To Spill, avant que Elderberry Wine s’avère le premier sommet de l’album, fabuleuse tentative d’indie folk d’une beauté à pleurer, avec en prime Lenderman dans les chœurs. Dans un monde parfait, on tient là un tube imparable. Phish Pepsi s’aventure ensuite en terrain plus nettement country. Hartzman y égratigne la concurrence (!) comme Pavement l’avait fait avec les Smashing Pumpkins sur Range Life : “We watched a Phish concert and Human Centipede / Two things I now wish I had never seen / We smoked weed out of a Pepsi can / Lying around under a Christmas tree” (On a maté un concert de Phish et Human Centipede / Deux trucs que j’aurais préféré ne jamais voir / On a fumé de l’herbe dans une canette de Pepsi / Allongés sous un sapin de Noël). Pour ceux qui se posent la question de savoir quel est ce film situé au même niveau d’abomination qu’un concert de Phish, on parle bien d’un nanar hollandais absolu.
The Way Love Goes est un autre courte ballade avec pedal steel avant ce qui est un autre sommet : Pick Up That Knife a tout pour devenir un classique, morceau somme qui synthétise parfaitement tout ce ont le groupe est capable, passant de passages mélancoliques à un chant écorché sur fond de murs de guitares. Hartzman chante « They’ll meet you outside », puis hurle, c’est une lamentation suite à la perte d’un être cher qu’elle vient d’enterrer. On a hâte de pouvoir entendre ce titre en concert.
Pour ceux qui n’ont pas compris, Wasp est extrême, totalement Hard Core : 1 mn 26 qui sont à Bleeds ce que Territorial Pissings était à Nevermind. Hartzman est « castrated in my mental death ». Voilà pour ceux, et il va y en avoir, qui vont considérer que le groupe met de l’eau dans son vin pour pouvoir capitaliser sur le succès de l’album plus grand public de Lenderman.
Bitter Everyday est le meilleur titre grunge entendu depuis des lustres avant que Carolina Murder Suicide (encore très gaie) et Gary’s II ne laissent in fine une impression plus légère, du moins soniquement.
On ne peut pas prédire si Bleeds va permettre au groupe d’élargir encore son public, et comment ils vont évoluer pendant la prochaine décennie. Le disque a été écrit principalement avant la rupture Hartzman / Lenderman, quel impact cela peut-il avoir sur les futures compositions du groupe ? En tout cas, ce qui est pris n’est plus à prendre, et nous allons déjà nous régaler à écouter cette offrande, avant un concert très attendu au Trabendo en février 2026.
Laurent Fegly
Wednesday – Bleeds
Label : Dead Oceans
Date de sortie : 19 septembre 2025