« Les preuves de mon innocence » de Jonathan Coe : un whodunit de haute volée dans le milieu ultraconsrvateur britannique

Jonathan Coe nous régale encore une fois grâce à son humour et à son imagination dans Les preuves de mon innocence et porte un regard acéré sur la sphère politique qui a bousculé le Royaume-Uni ces dernières années. En mêlant plusieurs genres littéraires avec une habileté sans faille, il tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page !

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Francesca Mantovani © Gallimard

Jonathan Coe aime conter l’histoire contemporaine du Royaume-Uni : Bienvenue au club, Le cœur de l’Angleterre, et plus récemment Le royaume désuni comptaient parmi les pépites de sa riche bibliographie. Il faudra désormais y ajouter Les preuves de mon innocence.

coe - les preuves de mon innocenceSeptembre 2022, dans un contexte post Brexit et crise sanitaire qui a laissé le pays exsangue, Liz Truss est nommée Première ministre. Deux jours après sa nomination, Elizabeth II meurt, provoquant l’émotion de tout un peuple. C’est tout cela que Jonathan Coe raconte dans ce nouveau roman. Il s’empare de l’histoire toute récente pour dénoncer les discours ultraconservateurs et populistes qui se sont emparés d’une partie de l’opinion britannique.

Jonathan Coe dénonce l’émergence des extrêmes en utilisant les ingrédients qu’il excelle à mélanger pour obtenir un roman impossible à lâcher : un humour so british, un scenario un peu dingue et des personnages hauts en couleurs. Il s’empare aussi très habilement des nouveaux codes de littératures que sont le cosy crime, la dark academia et l’autofiction, pour embarquer le lecteur dans cette nouvelle aventure.

La campagne anglaise et ses manoirs ont beau être charmants, ils n’en sont pas moins dangereux. Christopher Swann l’apprendra à ses dépens. Fervent pourfendeur de l’idéologie ultralibérale d’une partie des conservateurs britanniques et auteur d’un blog sur lequel il publie ses critiques et dénonce les dérives d’un système, il s’inscrit à une convention organisée par un think tank rassemblant des ultraconservateurs. Après un enchaînement de rencontres avec des personnages assez antipathiques (et souvent ridicules), Chris Swann est retrouvé mort, lardé de coups de couteau. Est dépêchée sur place Prudence Freeborne, inspectrice très gourmande et bonne vivante, qui se rendait alors à son pot de départ à la retraite. Les protagonistes sur place pouvant avoir eu des envies de meurtre ne manquaient pas…

Commence alors une enquête qui va plonger le lecteur dans les années 80 à Cambridge, lieu d’émancipation pour Chris, Brian et Joanna, trois jeunes Anglais issus de la classe populaire. Tout en nouant une amitié solide, ils prennent conscience du déterminisme social qui sclérose les milieux universitaires. S’ils réussissent à s’adapter à ces nouveaux codes, ils n’en demeurent pas moins critiques.

Comme il faut vous laisser le plaisir de découvrir la construction du roman, je n’en dévoilerai pas plus. Et si la forme du roman est parfaitement réussie et rend la lecture très plaisante, le fond est vraiment passionnant. Jonathan Coe dénonce par l’absurde les discours des ultraconservateurs qui s’instillent dans le débat public, n’hésitant plus à matraquer des contre-vérités en s’appuyant sur des éléments de langage clairement connotés.

« Elle entra ensuite dans le vif du sujet. Le problème de la société britannique, le véritable handicap qui l’empêchait d’avancer, c’était le wokisme. Elle ne précisa pas ce qu’était le wokisme, en réalité. Cela n’était pas nécessaire, puisque son public comprenait le concept. Elle préféra donc adopter une approche qui aurait rendu fier Humpty Dumpty, le personnage de Lewis Carroll : les mots étaient à son service, et elle pouvait donc leur faire dire absolument tout ce qu’elle voulait. Et donc, tout était woke. Ou du moins, tout ce que disait et entreprenait l’élite britannique était woke, même si cette élite non plus n’était pas vraiment définie. Peu importait, elle n’était pas d’humeur à se laisser contraindre par ce genre de finasserie terminologique. La BBC était woke. Ça crevait les yeux. L’Église d’Angleterre était woke. C’était on ne peut plus clair. Le système judiciaire était woke. Cela allait sans dire. Presque toute la presse écrite était woke, et bien évidemment […], le monde académique était profondément, fatalement, irrémédiablement woke. Payer sa redevance télé, c’était woke. Se faire vacciner, c’était woke. […] À la tribune, ça continuait à pilonner sans relâche. Écouter les experts était woke. Oxford et Cambridge étaient woke. Le nord de Londres était woke. Le chaï latte était woke. Les lentilles étaient woke. Ne pas avoir de voiture était woke. Aller au boulot à vélo était woke. Le télétravail était plus woke que woke, selon Joséphine. […]»

Dans Les preuves de mon innocence, toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants ou ayant existé serait purement volontaire et en aucun cas fortuit.

Jonathan Coe compte parmi les meilleurs auteurs britanniques contemporains. Sa liberté de ton et son imagination débridée au service de la description de notre monde qui devient de plus en plus fou nous comblent à chacun de ses nouveaux romans.

Une pépite anglaise de cette rentrée littéraire !

Caroline Martin

Les preuves de mon innocence
Roman de Jonathan Coe
Traduction de l’anglais par Marguerite Capelle
Editeur : Gallimard
480 pages, 24 euros
Date de parution : 18 septembre 2025

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