À 20 ans Arthur Rimbaud arrête définitivement la poésie et s’en va se perdre sur les chemins d’Afrique. Alessandra part aujourd’hui sur ses traces pour nous ramener le carnet de route que le poète maudit n’a jamais dessiné. Une belle invitation au voyage où les aquarelles font écho aux vers du poète.

On ne connaissait pas encore Joël Alessandra, un bédéaste voyageur qui a vécu à Djibouti et déjà suivi les traces d’André Gide au Tchad ou d’Amin Maalouf au Moyen-Orient. Il n’est donc pas très surprenant qu’il nous invite ici à suivre les pas d’Arthur Rimbaud dans la Corne d’Afrique, entre Aden et Djibouti, à « Bab-el-Mandeb, la « porte des larmes ». C’est le détroit qui fait communiquer la mer Rouge et l’océan Indien ». Voici ses carnets de voyage : Je est un autre (une phrase célèbre de Rimbaud dans sa Lettre du Voyant à Paul Demeny – 1871).
Arthur Rimbaud n’a pas vingt ans (vingt ans !) quand il arrête définitivement d’écrire de la poésie et, en 1876, s’engage dans les troupes coloniales jusqu’aux Indes Néerlandaises de Java, puis se fait déserteur pour Alexandrie, Chypre, le Canal de Suez, Djeddah, et enfin Aden et le Harar, une région du nord-est de l’Éthiopie où il s’essaie au commerce de café et d’armes.
« Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. »
« Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval à travers le désert de Somalie. Harar est une ville colonisée par les Égyptiens et dépendant de leur gouvernement. »
Rimbaud n’a que 26 ans quand il arrive dans la ville sainte de Harar. On l’appelle Ato Rimbo, il fréquente une femme abyssine quelque temps, Mariam, est-ce celle d’un dernier poème ? Mais du Harar, la postérité littéraire n’aura droit qu’à quelques lettres du poète maudit échangées avec les siens.
« Rimbaud n’a plus écrit, non… pas de vers de fin de vie… son dernier poème date de 1874, il est mort en 1891. »
« Moi, je crois qu’il a continué la poésie… dans sa tête. »
Alors 140 ans plus tard, Alessandra s’imagine un double de papier (comme en écho au titre de l’album), un autre Joël qui part à la recherche d’un hypothétique dernier poème, même un dernier vers seulement, écrit par celui que Paul Verlaine surnomma « l’homme aux semelles de vent », celui que Paul Delahaye appela « le voyageur toqué ».
« Une chimère ! Une drôle de quête ! Je crois bien que ce voyage est finalement un prétexte. Une échappatoire. […] Fuir, en somme. Et si fuir était une bonne chose ? »
Joël Alessandra est un « poète discret des cases et des encres », c’est ce qu’en dit l’écrivain djiboutien Idris Youssouf Elmi dans sa postface. Il fallait du culot pour s’intéresser à ce monument de la littérature, à ce poète maudit qui n’écrivait plus. Pour aller questionner la poésie des Soufis jusque dans leurs villes saintes. Mais le magnifique carnet de voyage qu’en a rapporté Alessandra, c’est un peu celui que Rimbaud n’a jamais dessiné, les images qui peuplaient sans doute ses visions à l’époque, où le khat avait remplacé l’absinthe, dans une région où les maisons et les habitants n’ont peut-être pas tellement changé.
On tient là un bel et gros objet, 160 pages de papier épais où se déploient les aquarelles d’Alessandra, à couper le souffle : de véritables peintures aux chaudes couleurs exotiques d’autant que la mise en page est un peu celle d’un roman graphique qui laisse place à de belles planches et même de doubles planches. Une très belle invitation à la poésie du voyage et des rencontres que l’on reviendra feuilleter souvent comme un album photos, celles d’un beau voyage que l’on vient de faire en compagnie de Joël et du fantôme d’Ato Rimbo.
Bruno Ménétrier
Je est un autre, un voyage avec Rimbaud
Scénario et Dessin : Joël Alessandra
Editeur : Daniel Maghen
160 pages – 24 €
Date de parution : 27 août 2025
Je est un autre — Extrait :
