Fan depuis son adolescence, le photographe Philippe Auliac a suivi le maître des métamorphoses pendant des années. Son regard sensible saisit alors la magie d’instants éphémères sur la scène et en coulisses. Entremêlant mots et d’images, Bowie, Hors Cadre se lit comme le journal de bord d’une formidable odyssée.

L’histoire n’est pas commune. Dans la grisaille de la France giscardienne, Philippe Auliac a la chance ultime de bosser pour RCA, espérant approcher enfin ses idoles rock, qu’il s’évertue déjà à photographier dans les magazines pour apprendre l’art photographique. Avec une entrée dans le métier plutôt démentielle… le jeune homme doit capter David Jones lors d’une arrivée mémorable à la gare Victoria de Londres. C’est la grosse claque ! L’ironie du sort veut que cet amoureux des trains se destinait un temps à entrer à la SNCF. Auliac choisit alors sa voie : il sera désormais paparazzo du rock ! En 1976, le photographe saisit donc le Thin White Duke, l’ouvrage livrant de magnifiques images des concerts de l’époque… Station to Station !
Dès lors, Bowie, Hors Cadre offre de nombreuses photographies de Bowie, ce beau personnage mutant sur des périodes diverses – les tournées Let’s Dance, Glass Spider et Hours – y compris l’épisode Tin Machine jusqu’en 2003, lors de la dernière tournée de la star. En artisan fier de ses appareils, Philippe Auliac dévoile aussi quelques-uns de ses secrets de fabrique au temps de l’argentique… Collectionneur dans l’âme, il présente également de belles curiosités, telles que la démo du disque de David Jones datant de 1964, ou cet extrait du magazine Rock and Folk qui mit le feu aux poudres à Hérouville en 76. Caméra et magnéto à la main, le Français a quelquefois filmé et enregistré la star, ce qui en fait désormais un gardien de trésors qu’il partage désormais avec nous. Mais Bowie n’est pas le seul à parader dans l’ouvrage, puisque Philippe Auliac figea dans la lumière d’autres icônes rock, la part belle revenant à Lou Reed, passionné de photographie lui aussi, et surtout Iggy Pop, avec toujours un commentaire bien placé.
Auliac dévoile ici des moments magiques avec Bowie, d’un échange de regards devant le Plaza Athénée à une promenade sur les Champs Elysées, sans quitter la scène bien évidemment, la star calculant toujours ses effets avec une belle maestria. A l’image de la couverture lorsque le Thin White Duke – incarnation du feu sous la glace – évolue sous nos yeux en chantant « Ahhh wham bam thank you ma’am » de Suffragette City. Pour chaque image, les annotations fourmillent d’anecdotes, quelquefois peu avouables comme à la page 118… Le lecteur saisit la dimension humaine de l’artiste, au point de ressentir une belle affinité entre les deux hommes, avec toutefois ce “chacun à sa place”, cette règle du jeu implicite entre la star et le photographe. Et ce qu’il faut de pudeur aussi lorsque Philippe s’interdit un soir de saisir David dans les coulisses, les larmes aux yeux juste avant de monter sur scène pour faire son Bowie lors d’un concert très intense…
Dans un long texte préfacé par son ami Carlos Alomar, Philippe Auliac se livre avec franchise, confiant par exemple son estime de la période Tin Machine ( avec “trois albums remarquables”…), ou considérant Outside comme innovant mais brouillon. D’autres confidences valent le détour lorsque le Français évoque des proches de l’artiste, avec des réserves surprenantes quelquefois. Une observation fine avec ce qu’il faut de distance critique. On ressent également le côté bordélique et foutraque des seventies qui collait si bien au rock and roll, avant la grande bascule quand le genre devint un business très juteux. Le photographe raconte alors les entraves mises par EMI, la firme tenant à la marque Bowie, la star semblant même de plus en plus distante, coincée dans une mécanique commerciale.
Enfin, dans un entretien avec Laurence Geslin, Philippe Auliac raconte son parcours avant de révéler sa démarche, se définissant comme un voyeur sonore avec « un regard sur les idoles à la fois intime et distancié« . Objectif atteint, cher paparazzo !
Amaury de Lauzanne