Robert Plant – Saving Grace : Cotswolds Blues

Alors qu’avec un dirigeable reformé, il aurait pu s’embarquer dans la tournée mondiale la plus lucrative de tous les temps, remplir tous les stades du monde ou avoir une résidence de 2 ans à Las Vegas, Robert Plant a préféré se balader et jouer dans les salles à taille humaine de son Angleterre natale avec son groupe Saving Grace. Les titres alors interprétés sur la route font la base de son nouvel album, splendide.

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© TOM OLDHAM/ NONESUCH RECORDS

Parmi tous les dinosaures du rock, Robert Plant est un cas à part. Là où ses collègues terminent souvent leur carrière en caricatures d’eux mêmes, adeptes de tournées au cours desquelles ils n’interprètent que des titres composées 40 ou 50 ans auparavant, l’ancien hurleur en chef de Led Zeppelin a opté depuis 20 ans pour une voie plus personnelle, refusant notamment en bloc la perspective d’une tournée qui aurait pu atteindre des chiffres de rentabilité stratosphériques. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que Saving Grace sort en même temps qu’un EP live de Led Zeppelin comprenant 4 titres d’un Physical Graffiti sorti en 1975. Une tuerie certes, mais loin d’être une nouveauté et surtout une démarche personnelle et pour le coup nostalgique d’un Jimmy Page gardien du temple.

Robert Plant - Saving GraceRobert Plant a démarré sa carrière solo au début des années 80, et a globalement pendant 10 ans (Jusqu’ à Manic Nirvana en 1990) pu donner l’illusion qu’avec un Hard Rock peu inspiré il courrait lui aussi après l’héritage du dirigeable. Le rapprochement logique qui s’en est suivi avec Jimmy Page a donné lieu à un album plutôt décevant (Walking Into Clarksdale) qui a dû lui confirmer l’impasse dans laquelle il se mettait. Et de fait, une nouvelle carrière passionnante a démarré en 2002 avec le formidable Dreamland, suivi par d’autres sorties de même qualité. Plant y revisitait des standards, des nouvelles compositions, toujours accompagné d’un groupe qui brillait par sa subtilité. Les grosses guitares sont abandonnées au profit d’arrangements soyeux mais toujours intenses. Raising Sand qui le voit partager le chant avec Alison Krauss a marqué la poursuite d’une collaboration avec des voix féminines qui remonte à 1971 (The Battle of Evermore sur Led Zeppelin IV chanté avec Sandy Denny).

L’expérience avait été prolongée sur Band of Joy avec Patti Griffin. Saving Grace est la suite logique, Plant partageant le chant avec Suzi Dian qui est également créditée sur la pochette, comme Griffin, Krauss, Buddy Miller et T Bone Burnett pour lui avoir ouvert cette nouvelle voie.

Le groupe a commencé à tourner en 2019, et les chansons ont été testées dans des petites salles avant d’être enregistrées. Le style musical est un retour aux sources du folk anglais dont l’influence était déjà notable au début des années 70 sur Gallows Pole ou Tangerine (même si les auteurs des titres de Saving Grace sont généralement Américains). L’enregistrement s’est donc fait dans le cœur de la campagne anglaise, ces Cotswolds si propices à cette musique organique. Le répertoire va consister en grande partie de classiques du blues mais également quelques titres qui ont marqué Plant durant sa jeunesse ou plus récemment.

Chevrolet est le premier blues, écrit par une vielle connaissance de Plant, Memphis Minnie, auteur de When The Levee Breaks.  On y entend du banjo (Matt Worley, le co-initiateur du projet Saving Grace) et un rythme africain. As I Roved Out est un traditionnel, les chants de Plant et Dian se marient à la perfection sous une atmosphère hispanisante quelque peu inquiétante. Les parties de guitare du guitariste Tony Kelsey sont remarquables. Bien sûr Plant ne peut plus monter dans les aigus comme avant, mais l’expressivité de sa voix est toujours là, et le groupe leur fournit un son des plus velouté. It’s a Beautiful Day Today est une reprise de Moby Grape qui donne envie de réécouter ce groupe.

S’il fallait une preuve de l’humilité de Robert Plant et de la haute considération dans laquelle il tient son groupe, il suffit de constater qu’il laisse le chant sur deux des meilleurs titres du disque : Matt Worley chante ainsi sur le magnifique blues Soul of a Man et Suzi Dian est aux manettes sur Too Far From You, avant que Robert Plant ne prenne le relais. La fin de morceau avec son travail sur les voix fait penser à Low et a l’alchimie entre Alan Sparhawk et Mimi Parker. L’amour de Robert Plant pour ce groupe est connu depuis qu’il a repris deux extraits de The Great Destroyer sur Band of Joy. En hommage à Mimi Parker, il récidive en en reprenant un troisième titre : Everybody’s Song est naturellement très réussie, fidèle à l’esprit de l’original. Plant semble avoir fait tourner en boucle The Great Destroyer, nous aimerions bien le voir reprendre des titres de Double Negative, ça pourrait être fun. Gospel Plough, un autre traditionnel, peut alors conclure l’album sur une note apaisée.

Nous pensons alors à Bob Dylan, un autre barde qui a choisi pour sa fin de carrière de déstructurer ses chansons les plus connues et de se concentrer un temps sur un répertoire traditionnel qui l’a inspiré dans sa jeunesse

L’authenticité de Robert Plant transpire sur la totalité de ces dix titres qui confirment qu’il a décidemment bien fait de tracer sa voie en dehors des chemins faciles sur lesquels il aurait pu se perdre.

Laurent Fegly

Robert Plant : Saving Grace
Label : Nonesuch Records
Sortie : 26 Septembre 2025

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