Premier titre de la collection Styx de chez Fleuve noir, La Mer se rêve en ciel de John Hornor Jacobs est un petit bijou qui commence comme un roman de Roberto Bolaño puis qui nous entraîne progressivement dans un horreur cosmique à la Lovecraft.

Les amateurs de littérature de l’imaginaire ne peuvent que se réjouir en cette rentrée littéraire : les éditions Fleuve lancent “Styx”, une nouvelle collection dédiée au fantastique et à l’horreur. L’ambition de Laurent Queyssi, qui dirige le projet, est prometteuse : nous faire découvrir des auteurs peu connus et qui évoluent dans des registres assez vastes (thriller psychologique, body horror, slasher, etc.). Premier titre de cette très belle collection (la couverture est superbe), La Mer se rêve en ciel est une pépite qui inaugure de fort belle manière ce projet éditorial.
Si John Hornor Jacobs est, pour le moment, un écrivain assez confidentiel en France, il commence à jouir aux Etats-Unis d’une belle réputation, et plusieurs de ses romans ont été nommés aux prestigieux prix Bram Stoker, Shirley Jackson et World Fantasy. Et l’on ne peut qu’espérer que ce premier roman traduit chez nous lui permette de se faire connaître des amateurs français de frissons littéraires.
La Mer se rêve en ciel met en scène Isabel, une jeune universitaire qui a fui l’Amérique du sud et son pays, le Magera. La terrible dictature de Vidal y fait des ravages et toute la famille d’Isabel a été décimée avant qu’elle ne parvienne à s’exiler en Espagne. Installée à Malaga, elle y fait la rencontre d’un de ses compatriotes, le poète Rafael Avendaño, surnommé l’Œil. Aussi étrange que charismatique, Avendaño porte les stigmates des tortures qu’il a subies entre les mains des hommes de Vidal. Son œil qu’il aurait lui-même arraché en est sans doute la marque la plus évidente. Contre toute attente, se noue entre la jeune universitaire timide et le vieux poète décadent une véritable complicité, jusqu’au jour où Avendaño informe Isabel de son départ imminent pour le Magera. Avant de partir, il confie les clés de son appartement à la jeune fille qui y découvre d’étranges textes qui lui permettent de lire le terrifiant récit de la capture de l’Œil par la police politique de Vidal. Fascinée par sa lecture, Isabel est bientôt entraînée dans une spirale d’événements étranges qui vont la convaincre de repartir à son tour pour le Magera.
Les premières pages de La Mer se rêve en ciel évoquent immanquablement le regretté Roberto Bolaño. L’influence de l’immense écrivain chilien mort en 2003 imprègne un début de récit qui s’attache à décrire l’amitié qui naît entre Isabel et Avendaño. Avec ses personnages d’écrivains et d’universitaires, ses références pop et savantes, et ce mystérieux manuscrit découvert dans l’appartement du poète, le roman de John Hornor Jacobs rappelle la façon avec laquelle Bolaño jouait avec les genres et leurs codes. En évitant toutes les facilités narratives, John Hornor Jacobs instille l’horreur par petites doses : une horreur bien réelle, l’évocation des violences de la dictature de Vidal, puis une autre plus cosmique à mesure qu’Isabel découvre un texte ancien et profane, maladroitement traduit par Avendaño. Et c’est là l’une des grandes forces de La Mer se rêve en ciel : John Hornor Jacobs parvient à entrelacer avec habileté le réel et le surnaturel. Si la lecture du récit de la captivité d’Avendaño est aussi stupéfiante que terrifiante, que dire du malaise et de l’étrangeté qui s’immiscent dans le récit à mesure qu’apparaissent des forces encore plus obscures que celles de la tyrannie et la barbarie du régime politique qui règne sur le Magera ?
En un peu plus de deux cents pages, John Hornor Jacobs réussit un tour de force littéraire et, le livre refermé, on sait d’ores et déjà que l’on n’est pas prêt d’oublier certaines pages, notamment le long périple à moto d’Isabel, sa quête d’Avendaño et d’une vérité indicible. Et voilà la collection Styx qui démarre sous les meilleurs auspices.
Grégory Seyer