Le Roi des cendres de S. A. Cosby : Breaking bad…

Dans son remarquable dernier roman, S.A. Cosby raconte la descente aux enfers d’un homme prêt à tout pour protéger sa famille… À partir d’un matériau assez convenu, l’écrivain américain construit une terrible tragédie contemporaine, et l’un des meilleurs polars de l’année.

Cosby
© Sam Sauter

Tous les amateurs de polars connaissent la célèbre formule d’André Malraux à propos de l’un des chefs-d’œuvre de William Faulkner : « Sanctuaire, c’est l’intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier ». De fait, le polar et la tragédie ont beaucoup en commun, certains considérant même Œdipe Roi de Sophocle comme l’origine du roman policier. Quoi qu’il en soit, le roman noir, lorsqu’il ausculte en profondeur les maux qui traversent une époque, et lorsqu’il s’attarde sur notre rapport au mal, est un genre qui ne peut qu’être tragique. Et c’est exactement ce que fait S. A. Cosby dans son formidable nouveau roman, Le Roi des cendres.

Roman Carruthers est un homme à qui tout semble réussir : installé à Atlanta, il dirige une très fructueuse entreprise de gestion de patrimoine. Mais Roman cache en réalité une terrible blessure : la disparition inexpliquée de sa mère alors qu’il était adolescent. Lorsqu’il apprend que son père est plongé dans le coma à la suite d’un accident de voiture, Roman décide de revenir à Jefferson Run, la ville de son enfance qu’il a tout fait pour fuir. Là, il retrouve après des années d’absence sa sœur Neveah qui dirige désormais le crématorium de son père, et son frère Dante, un jeune homme à la dérive. Ce retour de Roman à Jefferson Run se révèle vite très difficile : la ville est gangrénée par la misère et les gangs, l’état de son père est alarmant, l’accueil de Neveah assez froid et Dante est plongé jusqu’au cou dans une sale affaire. Roman, qui a tant négligé les siens tandis qu’il faisait fortune à Atlanta, décide alors de tout faire pour aider son frère, quitte à affronter les criminels les plus dangereux de Jefferson Run… Le point de départ du Roi des cendres n’est donc pas très original et S. A. Cosby semble avoir sciemment choisi de revenir à l’un des motifs originels du genre : la ville pourrie. Et Roman, un peu comme un avatar moderne d’un personnage de Dashiell Hammett, va œuvrer pour orchestrer une guerre des gangs et provoquer l’implosion de l’entreprise criminelle qui menace sa famille.

Mais si S. A. Cosby s’empare d’un canevas très classique, on comprend assez vite qu’il a décidé d’aller très loin dans la noirceur. En effet, dès les premières pages du livre, il présente Roman comme un homme blessé, qui dissimule ses failles derrière l’apparence du succès. Traumatisé par la disparition de sa mère, il a consacré toute son énergie à faire fortune. S’il aime l’argent, et s’il est doué pour en faire gagner beaucoup à ses clients, Roman est hanté par le souvenir de sa mère. Incapable d’être pleinement heureux, il a laissé les siens derrière lui et il expie ses fautes lors de séances sadomasochistes tarifées. Rongé par cette douleur, il va finalement décider de tout faire pour protéger Dante et sa famille de deux frères à la tête du gang le plus dangereux de Jefferson Run. Mais, et c’est là l’une des grandes idées du livre de S.A. Cosby, Roman, en luttant contre le mal, va peu à peu se laisser contaminer par lui. A la grande question, « jusqu’où peut-on aller pour protéger les siens ? », Roman n’a qu’une seule réponse : « C’est eux ou nous »; Autrement dit, il fera tout, y compris le pire. A partir de là, Le Roi des cendres est véritablement construit comme une tragédie grecque : tous les efforts de Roman ont pour conséquence d’accroître la violence, qui s’abat bien souvent sur des innocents. Et, sans rien révéler du dénouement du livre, on peut l’affirmer : Le Roi des cendres s’achève sur une terrible conclusion qui, à bien des égards, voit triompher le Mal en tant que virus inarrêtable.

Avec son questionnement moral constant et ses personnages formidables, Le Roi des cendres s’impose comme le plus abouti des livres de S. A. Cosby. Ce qui n’est pas peu dire tant les trois précédents étaient déjà remarquables. Véritable page-turner, ce nouveau livre de l’écrivain américain installe son auteur au sommet du genre.

Grégory Seyer

Le Roi des cendres
Un roman de S. A. Cosby
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Szczeciner
Editeur : Sonatine
408 pages – 23,50 €
Date de parution : le 2 octobre 2025

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