Arnaud Floc’h et Janis Do nous livrent une belle histoire associant le souvenir de la Shoah à celui, plus heureux, des premières femmes autrices de comics, à travers le destin de Lily Renée, rescapée devenue pionnière des comics aux États-Unis.

Juive autrichienne, Lily Renée est décédée aux États-Unis le 24 août 2022, à 101 ans. Sa vie confortable, ses parents sont fortunés, a été bouleversée par la prise de pouvoir par les nazis. Le scénario d’Arnaud Floc’h associe deux lignes mélodiques, une jeunesse bouleversée par la terreur, la mort et l’exil, puis, quelques années plus tard, bénéficiant de la mobilisation des jeunes hommes, son intégration dans l’univers des comics. La Seconde guerre mondiale ouvrit le monde du travail aux femmes américains, elles produisirent des avions, certains parvinrent même à les piloter et, le fait est moins connu, d’autres pionnières parvinrent à s’imposer dans le monde totalement masculin de la bande dessinée.
Comme toutes les biographies de survivants de l’Holocauste, la partie viennoise est dure. La disparition de l’oncle à Buchenwald, puis la séquence dans la nuit hostile qui annonce son départ, seule, dans ce qui pourrait être le dernier convoi d’enfants quittant Vienne, sont très fortes. Floc’h s’autorise même quelques séquences oniriques, en faisant parler les oiseaux. Les référence à des comics, j’ai reconnu The Katzenjammer Kids et The Yellow Kid, sont discrètes et, heureusement, explicitées en dernière page, avec une erreur de pagination qui rend l’exercice d’identification plus ardu.
Le dessin de Janis Do est étonnamment sobre. Elle pratique une ligne claire simple et gentiment arrondie. Classiquement, l’histoire entremêle deux époques, sa découverte du milieu des Comics américain new-yorkais à la fin de la guerre est associée à des flash-backs angoissants à Vienne, qu’elle est contrainte de quitter, puis à Londres, où elle n’est pas bien reçue. Les couleurs froides accentuent la peur, du sépia pour la partie européenne, puis un retour à la couleur mélancolique pour l’Amérique.
Lily Renée travaille pour Fiction House de 1943 à 1948 sur Werewolf Hunter, Jane Martin, Señorita Rio ou The Lost World. Comme beaucoup de jeunes femmes, elle quittera le monde des comics, lorsque les « héros » seront de retour, pour se consacrer au dessin de mode et écrire des romances. Un seul regret, l’album ne présente pas ses dessins, mais ils sont visibles sur Internet.
P. S. : Hommage typiquement américain, son nom a été inscrit dans le Temple de la renommée Will Eisner en 2021.
Stéphane de Boysson
Lily Renée, numéro 542
Scénario : Arnaud Floc’h
Dessin : Janis Do
128 pages – 24,98 €
Éditeur : Marabulles
Parution : 20 août 2025
Lily Renée, numéro 542 — Extrait :
