Il y a toujours quelque chose qui relève de l’acte miraculeux dans les productions de Peter Milton Walsh avec son projet The Apartments. Chaque nouveau disque se pose en nouveau complément du précédent sans jamais tomber dans la redite. C’est à celà que sert la musique comme le dit si bien l’australien.

Quelle est l’utilité d’un art ? L’acte de créer se doit-il de participer d’une nécessité, d’une volonté partisane parfois ? Créer, est-ce affirmer totalement ou, au contraire, s’effacer pleinement ? Aborder la création par une dimension utilitariste, n’est-ce pas trahir l’esprit de l’artiste ? La littérature, la musique, la sculpture ne peuvent être des produits comme les autres, des produits que l’on consomme. C’est en cela que les palmarès de fin d’année ont parfois un peu ce goût rance d’une compétition qui n’a pas lieu d’être. Et si l’on comprenait tous ces Tops qui pullulent en décembre de chaque année, plus comme des instantanés d’une période passée, un peu comme des témoins d’un passé en devenir, vers lesquels on se retournera dans dix ans pour capter à nouveau notre état d’esprit ?
Créer relève toujours de l’urgence, et ce n’est pas l’Australien Peter Milton Walsh qui viendra contredire cette allégation. L’urgence n’a pas toujours besoin de la rage ou de la fièvre pour exister. Elle peut parfois se briser dans la mélancolie la plus lumineuse. C’est un peu à cela que joue, depuis toujours, The Apartments. L’ami Peter Milton Walsh manipule les contrastes, fait monter à la surface les émotions et le chagrin, la peine et le bonheur unis dans un même baiser, enlacés dans une même étreinte. Pour autant, les cieux ne sont jamais plombés chez l’auteur de The Evening Visits… and Stays for Years (1985), peut-être plus crépusculaires les années passant. Car, s’il est une chose que Peter Milton Walsh semble avoir bien comprise, c’est que la vie d’un homme est faite de saisons : ce printemps qui nous voit grandir, cet été où l’on se déploie dans toute sa force et toute sa tension, l’automne, temps des repos et du retour sur ce qui a été accompli et ce qui ne l’a pas été, temps des souvenirs et des regrets. Et enfin, l’hiver et son point final.
Chaque disque de The Apartments ne cesse de raconter, encore et encore, ces saisons-là, avec un je-ne-sais-quoi de l’ordre de l’estampe, du sépia et de l’aquarelle. Et si, par son acte de création, Peter Milton Walsh ne cherchait finalement qu’à recréer des mondes disparus, des instants qui n’ont jamais été vécus, des émotions émoussées ou dissipées dans l’omnipotence du présent ? Même si chacune des productions de The Apartments diffère des autres, Peter Milton Walsh écrit encore et encore le même disque, compose les mêmes chansons, illustre les mêmes émois. On n’entend pas par cette litanie une forme de répétition, mais plus la recherche pleinement assumée, l’exploration de croquis et de détails qui retissent un chemin vers le passé. Peter Milton Walsh compose comme un peintre travaille : il malaxe les couleurs et les nuances.
Bring back the years, bring back the world
Bring back the days that had you in them
That’s what the music is forPeter Milton Walsh – Thats what the Music is for (when the fair’s over)
La vie est comme un casino : on est perdu d’avance, les dés sont pipés et n’abolissent jamais le hasard. Ce qui définit peut-être le mieux l’esthétique et la vision de Peter Milton Walsh, c’est cette petite phrase anodine — anodine mais profonde, comme le sont toujours les petites choses. Cette phrase, on l’entend dans Afternoons, ce duo avec la divine Natasha Penot. You’re painting flowers so they will not die (« Tu peins des fleurs pour qu’elles ne meurent pas »), chante-t-il. Et si, avec lui, l’éphémère s’accordait à un autre temps ? Si, avec lui, il se délestait des rapports ténus au passé, au présent et au futur ? Et si, avec lui, il s’affranchissait de la temporalité pour ne plus être qu’une force, une pulsion de vie ?
Ce septième album tisse des liens avec A Life Full of Farewells (1995) et Apart (1997). Ce qui rapproche That’s What the Music Is For de A Life Full of Farewells, c’est la réapparition de la trompette dans les compositions de Peter Milton Walsh. Ces huit nouvelles chansons rapprochent l’Australien plus des teintes d’un crooner que de la seule pop. Ces huit chansons ont la saveur des crépuscules ou des heures bleues, de la chute des feuilles mortes. Le titre qui donne son nom à l’album prend même, dans son introduction, des humeurs presque cool jazz.
I sing this song to try to keep you here
I sing this song so you don’t disappear
I sing this song so I can see the years
If I sing this song maybe you won’t disappear
Or maybe you willPeter Milton Walsh – You know We’re not supposed to feel this way
Créer n’a pas d’utilité, ou alors la seule qu’on lui autorise, c’est celle de recréer, pour un instant, le temps d’une chanson, l’éternité d’une présence. Avec toute la force de la sincérité que l’on entend dans chaque souffle, dans chaque mot chanté par Peter Milton Walsh, l’Australien nous bouleverse, nous touche au plus profond. Il dit ce que l’on ne parvient pas à dire, il tait peut-être l’essentiel, mais c’est pour mieux révéler le secret, ce qui se cache dans l’ombre.
C’est à cela que la musique sert, juste à cela.
Greg Bod