Une enquête déjantée dans la chaleur de Barcelone. Après Je suis leur silence, la nouvelle aventure de la fascinante Eva Rojas confirme le talent du Catalan Jordi Lafebre.

La police barcelonaise s’affaire autour d’un cadavre retrouvé planté verticalement, la tête en bas, dans une chape de béton frais. Il est objectivement difficile à identifier en l’état. Si l’on en croit ses tatouages, le mort se revendiquait néonazi. La seule témoin est Eva Rojas. Elle accepte de parler, mais seulement en présence de son psychiatre. Seule, elle a tendance à exagérer et à se laisser emporter par son imagination. Surtout en présence des cadavres, elle déteste les cadavres…
Eva est psychiatre, une psychiatre excentrique, une psychiatre absolument hors du commun et une femme extraordinairement libre. Certes, elle reconnaît avoir, non pas des voix intérieures, mais des présences, celles des femmes de la lignée Rojas, sa grand-mère et ses aïeules, trois guerrières antifranquistes. Sans prendre trop de place, elles commentent les événements et donnent leur avis sur les personnages, leur ombrageuse complicité est touchante. La petite-fille profite de leur expérience, tandis que la psychiatre n’ignore rien de leurs blessures. Quand Eva est certaine de ses choix et de l’appui du chœur des aïeules, alors elle n’a plus peur de rien. Gare aux nazis !
Jordi Lafebre croque ses visages avec un style très personnel. Il parvient à leur donner un irrésistible aspect mutin. Son trait frais et lumineux tranche avec le cynisme de Gargamel, un véritable méchant, la corruption de la ville et la violence qu’elle engendre.
Revenons à notre scénario. Tout a débuté la semaine précédente quand elle a perdu João. João est l’un de ses patients, un jeune footballeur professionnel. Une graine de star, mais un gentil garçon. Le directeur de son club était fort mécontent. La suite est un délice. L’intrigue est parfaitement menée. Le côté résolument foutraque de l’histoire et des différents personnages – tous parviennent à nous surprendre – rappelle les meilleurs romans de Daniel Pennac. L’auteur associe avec talent un véritable et sombre polar à une comédie familiale épicée aux troubles bipolaires, ceux de la mère et de la fille Rojas, sans oublier une pincée de fantastique transgénérationnel.
Enfin, l’album profite de la chaude lumière de Barcelone. La misère est plus belle au soleil et Eva est, désormais, mon amie.

Stéphane de Boysson
Je suis un ange perdu
Texte et dessins : Jordi Lafebre
112 pages – 21,50 €
Éditeur : Dargaud
Parution : 17 octobre 2025
Je suis un ange perdu — Extrait :

