Joshua Haden et son groupe étaient à Petit Bain dimanche soir pour célébrer les 30 ans de la sortie de leur The Blue Moods of Spain. Dans une atmosphère feutrée, Haden et son excellent groupe en ont livré une interprétation fidèle devant un public nombreux et comblé d’avance.

Petit Bain sold out pour accueillir Joshua Haden et ses musiciens, une belle performance pour ce dimanche soir chargé, avec Bob Mould à la Maroquinerie et la suite du festival Pitchfork. Ce succès est un signe de la bonne image du groupe en France. 7 ans après sa dernière tournée, Spain saisit l’occasion de la ressortie anniversaire de son premier album, The Blue Moods of Spain pour l’interpréter en intégralité. Ce disque inaugural reste à ce jour insurpassé grâce à ses compositions touchées par la grâce.
Resituons pour les plus jeunes ou ceux qui sont passés à côté : Joshua Haden est le fils de Charlie Haden l’un des plus célèbres contrebassistes de jazz de son époque, ayant œuvré notamment avec Ornette Coleman ou Keith Jarrett. Haden était adepte d’un style minimaliste qui a beaucoup inspiré son fils. Quand le premier album de Spain sort en 1995, la famille Haden s’est également fait un nom sur la scène du rock indé puis que ce sont ses deux sœurs, Petra et Rachel qui avaient fait parler d’elles sous le nom de That Dog, formidable groupe à guitares ayant marqué certains admirateurs au cours des années 90. Mais le frangin Joshua va choisir un style radicalement différent : dans la lignée de groupes comme Tindersticks, Low, Codeine ou Morphine, Spain va opter pour un slowcore nocturne débarrassé de toute nostalgie punk et grosses guitares, et ne va pas hésiter à le faire de façon extrême, poussant le minimalisme et la durée de certains morceaux à l’extrême. Mais quels morceaux ! Dreaming of Love, Untitled #1, les quatorze minutes de World of Blue, pour finir sur ce Spiritual crépusculaire repris par la suite par Johnny Cash, tout est formidable. Ce disque mérite sa tournée anniversaire, aucun doute. Spain va continuer à sortir par la suite des disques excellents, même si moins radicaux. Tout ça pour expliquer pourquoi il est logique d’arriver à remplir Petit Bain sans réelle nouvelle activité.
Nous avons donc droit à une longue file d’attente avant l’ouverture des portes de Petit Bain à 19h30 et nous découvrons une fosse déjà bien blindée pile pur l’arrivée de Binidu sur scène. Binidu est un trio composé de Vincent Dupas à la guitare et au chant, JB Geoffroy à la batterie et Jérome Vassereau à la guitare. Ils viennent de la Loire et œuvrent dans une musique expérimentale qui peut parler aux fans des derniers disques de Lambchop : du lo-fi truffé de notes de guitares et de bruitages, des moments acoustiques mais également électroniques pour un résultat singulier. Une touche pastorale dans la voix combinée à l’expérimentation peut également nous rappeler le Pink Floyd de la période Barrett jusqu’à Ummagumma. Avec la perspective de Spain ensuite, nous pouvons nous rapprocher, il y a peu de chances d’être pris dans un pogo endiablé. Le groupe joue assis, quelques roulements da batterie renforcent le coté hypnotique de la voix de Vincent, et nous nous prenons au jeu. Comme souvent pour ce genre de musique, la frontière est ténue entre les moments magiques et l’irritation qui peut surgir au détour de quelques bruitages trop répétitifs, mais le groupe a gardé notre attention pendant toute sa prestation d’environ 40 minutes.
21 h : Joshua Haden monte sur scène, et il n’a pas changé du tout. Très classe, il porte beau pour ses 57 ans, et les lunettes de son père également. Pas là pour rigoler, il démarre It’s so True sans un mot et le dos au public. Compris, nous allons avoir droit à l’intégralité de l’album et dans l’ordre. L’attitude d’Haden sera étrange pendant cette prestation, comme si l’album devait être abordé de façon religieuse, sans aucune intervention extérieure. Il ne va ainsi pas dire un mot pendant plus d’une heure, ne pas s’interrompre lors du malaise d’un spectateur juste devant nous au troisième rang, préférant triturer sa basse pendant de longues minutes avant de lancer Ray of Light : on ressent une certaine gêne… Haden parlera finalement à la fin de Spiritual, présentant son groupe et le contexte de la tournée.
Quant à la musique, elle est toujours aussi somptueuse, et nous découvrons un guitariste incroyable, pour nous la vraie star de la soirée : Kenny Lyon tourne avec Spain depuis plusieurs années, et a participé en studio à l’album de 2016 Carolina. Il est également producteur éclectique, notamment de rap. Toutes ses interventions pendant 1h30, ses arpèges, ses solos subtils, seront marquées d’une beauté absolue, pendant Dreaming of Love ou Untitled #1 notamment ou la deuxième partie de World of Blue. A la façon d’un guitariste de jazz, il ne sature pas l’espace, distille ses notes de façon parcimonieuse, et crée un écrin comme peut le faire Oren Bloedow chez Elysian Fields, c’est totalement remarquable. Il est donc le parfait remplaçant au guitariste original Ken Boudakian.
Le public comprend de nombreux fans de la première heure se rappelant les premières apparitions du groupe dans Nulle part Ailleurs ou aux Transmusicales. L’ambiance est naturellement feutrée, sur scène il ne se passe pas grand-chose mais le groupe donne ce qui est attendu, avec une appréciation manifeste. World of Blue et ses fameuses paroles (« Blue is the colour of the sky / Blue is the clour of her eyes / Blue is the color of the mountains (?) / Blue is the colour of the sea (Ah oui, là on est d’accord) sera naturellement beaucoup applaudi, malgré l’absence du violon et du violoncelle sensationnels des frangines Petra et Tanya dans la version studio. Lyon va ensuite rendre I lied mémorable, et le gospel Spiritual clôturera l’interprétation de l’album dans un silence total et avec Lyon à l’ukulélé.
Et si finalement les deux rappels n’étaient pas les vraies réussites – inattendues – de la soirée ? Nous l’avons précisé en introduction, les efforts discographiques suivants de Spain, plus classiques et sans l’effet de surprise, n’ont pas eu l’impact du premier album, mais ils restent excellents. Haden a donc décidé de faire un peu de teasing de la possible future tournée anniversaire de She Haunts My Dream en 2029, et nous allons avoir droit à deux merveilles, Nobody Has to Know et Every Time I Try. Le groupe y est à son meilleur avec de titres finalement plus classiques qui lui permettent de se lâcher un peu, à Haden de communiquer sans avoir peur de dénaturer le chef d’œuvre, et au public de bouger un peu.
Nous sortons donc heureux de Petit Bain et avec les oreilles un peu moins traumatisées que celles de nos collègues témoins de la fureur de Bob Mould un peu plus au nord.
Binidu : ![]()
Spain : ![]()
Laurent Fegly
Spain et Binidu à Petit Bain
Production : Vedettes
Date : le dimanche 9 novembre 2025
Les albums :

Binidu – //
Label : Kythibong
Date de parution : 5 avril 2024
Spain – The Blue Moods of Spain
Label : Restless
Date de parution : 8 septembre 1995
