« Dino », Nick Toshes : Icône douteuse et rêve toxique

Nick Toshes nous plonge dans la vie trouble de Dino Paul Crocetti, plus connu sous le nom de Dean Martin, homme totalement superficiel, fasciné par le succès et l’argent, et devenu le symbole d’un pays et de sa culture. Sur ce dernier point, c’est à voir. En tout cas, cela donne à penser. Un monument de journalisme littéraire. Un monument de littérature.

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Dean Martin 1959 -wikimedia

Paru en 1992, ce Dino n’a pas pris une ride, pas vieilli, pas perdu une once de sa force et de sa qualité. C’est un livre nécessaire, indispensable… incontournable (ce n’est pas un hasard s’il se trouve dans la collection des iconiques de François Guérif). Un chef d’œuvre ? Pourquoi pas ! Les pisse-froids trouveront que l’abondance de détails, de noms et de dates, l’accumulation de faits rend la lecture indigeste. Ils et elles peuvent passer leur chemin ! Sinon, réjouissez-vous et laissez-vous embarquer : Dino est exactement ce qu’une biographie doit être. D’abord, rigoureuse, contextuelle, documentée (même au-delà du raisonnable) : 45 pages de notes, une discographie, une filmographie, et il manque l’index et les 50 pages de références de l’original. À rendre jaloux certains historiens et à faire pâlir de honte tous les Henri Troyat de la création (et j’aime beaucoup Henri Troyat). Ensuite, au-delà de la vie d’un personnage, une biographie doit aussi parler de la société qui l’a fait et ce qu’il a fait de la société dans laquelle il a vécu. C’est le cas ici, où rien ne manque sur les liens douteux entre show-business (Las Vegas et Hollywood), mafia, et politique dans l’Amérique des années 50 et 60. Et que demander de plus quand cette biographie devient un roman, noir (ou rouge sang), plein d’alcool et de gangsters, de faux amours et d’illusions ? Rien. Il faut dire que Nick Toshes avait choisi le bon sujet. La vie de Dean Martin est un tel roman. Rien ne manque qu’un écrivain aurait dû rajouter pour rendre son sujet fascinant. Au point qu’on n’a pas besoin d’avoir écouté une seule de ses chansons ni même avoir vu un seul de ses films pour s’y intéresser. Nick Toshes réussit la prouesse de donner envie de voir certains d’être eux — comme par exemple Mariage on the Rocks, qui pourrait bien être le plus mauvais film de l’histoire du cinéma.

Dino-couvTout commence dans le sud de l’Italie au début du 20ème siècle. C’est la période où l’Italie se vide quasiment, 6 millions d’Italian partent pour la terre promise entre 1905 et 1914. Les parents de Dean Martin en font partie. Les Crocetti rejoignent la terra promessa en 1907 et, après avoir réussi à s’extirper de l’enfer des tenements new-yorkais, arrivent à Steubenville (Ohio), où Dino naît en 1917. Ce n’est toujours pas le paradis. Le jeune Dino grandit dans un environnement de violence et de brutalité, qui vont le marquer définitivement, mais qui ne l’empêchent de commencer à tracer sa route. Arrivent les premiers shows et les émissions de radio à New-York et puis Las Vegas, Jerry Lewis, le Rat Pack (bien moins cool et glamour que ce qu’en disent les films sur Dany Ocean). Nick Toshes raconte tout, avec une profusion de détails, donc, mais aussi dans un style flamboyant, acéré, à la limite de l’outrance. Et sans concessions.

Dean Martin en prend pour son grade. L’icône, le roi du cool, le crooner charmant et décontracté, est décrit comme un menefreghista – un je-m’en-foutiste – superficiel et profondément égoïste, ne s’embarrassant ni de sa famille, ni de son public, intéressé par l’argent, l’alcool, les maitresses (qu’il collectionne). Le passage sur la relation avec Jerry Lewis est particulièrement révélateur de la mentalité du crooner à utiliser son comparse pour réussir ! C’est ce Dean Martin-là qui a été un des acteurs majeurs de la culture populaire américaine au 20ème siècle.

Nick Toshes dézingue Dean Martin, sans vraiment le condamner. Il semble être à l’image d’une société autant fascinée que lui par les apparences et le strass. De fait, Dino devient une critique acide d’une certaine Amérique. Certains diront, et ont dit, que Nick Toshes démolissait le rêve américain. Une exagération. Las Vegas et Hollywood ne sont pas plus les États-Unis que New York. Et la culture du pays ne se réduit pas aux shows télévisés et au cinéma de masse. Après tout, on a les mêmes chez nous et ce n’est pas certain que ce soit plus joli. Mais il jette un œil derrière le décor, et c’est sale. On le savait. Avec les détails, c’est encore plus macabre et encore plus fascinant. Fascinant, voilà, ce Dino est fascinant pour ce qu’il dit d’un homme, d’un pays, d’une forme de culture.

Alain Marciano

Dino. La belle vie dans la sale industrie du rêve
Roman de Nick Toshes
Traduction de l’anglais (états-unis) par Jean Esch
Éditeur : Rivages
640 pages – 12,50 €
Parution : 5 novembre 2025

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