Feu! Chatterton signe Labyrinthe, un quatrième disque né d’une résidence au Louvre et d’un label maison, Universo Em Fogo. Entre pop baroque et textures électroniques, un disque nourri d’une poésie à la fois fragile et farouche qui prolonge une mélancolie lumineuse.

On se souvient de l’excellente surprise que fut Ici le jour (a tout enseveli) au milieu d’une scène rock française assez paresseuse, cette découverte ébahie de ce rock élégant et intellectuel, où l’ambition littéraire et musicale nous rappelait, émus, les glorieux anciens. En effet, pour ce premier album qui fit l’effet d’une bombe, Feu! Chatterton convoquait les fantômes de Bashung ou Ferré et venait titiller, dans cette fougue littéraire, dans cette emphase déclamatoire et l’intensité des émotions, tout un pan de la poésie française du XIXᵉ. Pour le délicat passage du deuxième album, L’Oiseleur va finir d’enfoncer le clou de ce qui n’était finalement pas un “Feu !” de paille. Après la fougue libératrice d’un premier album foisonnant et échevelé, les Parisiens calment le rythme, vont voyager du côté de l’Italie et de l’Andalousie pour nous pondre un véritable bijou de pop baroque aux arrangements somptueux, un rock vaporeux, raffiné, qui s’écoute le petit doigt en l’air et les yeux perdus dans un horizon d’azur. Un chef-d’œuvre de « Romantic Rock » où la riche plume d’Arthur Teboul vient faire sa niche dans les bras solides d’une orchestration impeccable, mélancolique et d’une richesse instrumentale splendide. En 2021, Palais d’argile change le cap d’un groupe qui est bien décidé à ne pas se laisser enfermer dans un style. C’est autour de cette révolution numérique dévoreuse d’âmes que leur troisième album va se centrer. La musique du quintet va également bénéficier de cette révolution. En effet, l’électro trouve toute sa place dans ce troisième album aux tonalités plus modernes et aux textes toujours aussi ciselés, ancrés dans un présent désincarné. Si quelques morceaux brillent de mille feux dans ce disque quasi houellebecquien – Un monde nouveau, Cristaux liquides ou Écran total – il finit par se perdre, se diluer dans ce vide existentiel et cette saturation d’informations qu’il semble dénoncer.
C’est donc plein d’espoir – et d’un peu de fébrilité – que nous attendions le quatrième opus de la bande à Arthur Teboul. Quatre ans que Feu! Chatterton avait quelque peu délaissé les médias afin d’explorer de nouvelles contrées. En effet, les membres du célèbre quintet relèvent, au printemps 2023, le défi lancé par le Louvre et posent claviers et guitares dans les salles du plus grand musée du monde pour une résidence de deux mois. Ils en profitent également pour fonder leur propre label, Universo Em Fogo.
L’album s’ouvre sur Allons Voir, titre optimiste et enjoué, annonçant dans un bel élan vital le début de ce beau voyage d’un peu plus d’une heure. Un morceau qui donne une teinte presque insouciante à un disque qui va peu à peu se charger de sobriété et de mélancolie. Dès le deuxième titre, l’ambiance lumineuse se fait plus pâle, le ciel s’obscurcit ; pourtant, la chanson Le Labyrinthe démarre sous des rythmes latinos qui laissent augurer de beaux rayons de soleil, mais sous ce ciel cubain, ce sont les nuages qui s’accumulent. Un rythme syncopé, dansant, mais parasité par une sécheresse musicale et émotionnelle qui transforme cette jovialité toute latine en une sorte de salsa synthétique, froide comme le béton. Après la recherche de la voie à suivre, c’est cette quête d’identité qui va servir de fil conducteur à l’album. Ce Qu’on Devient refait le chemin à l’envers, revient sur le temps passé et fait le bilan résigné de “l’après”, au milieu de splendides nappes synthétiques renforçant le côté mélancolique, vaporeux et insaisissable du souvenir. Les chansons s’égrènent au fil d’un album qui s’enfonce inexorablement dans une mélancolie lumineuse. Une mélancolie que la plume, tour à tour fragile et sauvage, d’Arthur Teboul vient marquer au fer rouge, sur des textes tous plus beaux les uns que les autres. Une poésie ciselée, complexe et sophistiquée, affectée et artificielle diront les mauvais esprits, qui ne veulent pas voir le talent caché derrière ce style « classique », derrière ces allitérations et ces assonances, derrière ce goût désuet pour le mot rare et l’expression « vieillie ». Ce verbe haut, cette théâtralité assumée, n’est pas une posture : c’est le sel de Feu! Chatterton. « Je suis venu à la chanson par la poésie, pas par le rock », dira Teboul dans une interview.
Les titres s’enchaînent et la mélancolie semble être la voie sans issue d’un labyrinthe intérieur dont la sortie doit se gagner chèrement. Pourtant, au fil des titres, on entrevoit la lumière qui perce à travers cette tristesse (L’Étranger), cette nostalgie (Ce Qu’on Devient) ou ce chagrin (Mille Vagues). On parcourt ce dédale musical à la recherche d’une quelconque rédemption ou d’une improbable connaissance de soi et des autres, mais, comme tous les labyrinthes, nombre de voies ne débouchent sur rien ou sur des chausse-trappes. Pourtant, il existe un chemin – ce chemin que le groupe vient tracer dans cette confusion émotionnelle, cet échiquier sentimental. Baisse les Armes amorce ce lâcher-prise salvateur et annonce la voie à suivre pour se sortir des méandres de l’introspection. Si Mon Frère vient terminer le peu de foi en l’humanité qu’il nous restait encore, dans une charge contre cet individualisme contemporain stérile, Mille Vagues, douloureuse traversée du deuil – dédiée à leur producteur récemment décédé – clôt, dans une tristesse infinie, ce lâcher-prise total, cette quête illusoire dont la seule issue possible se fera inévitablement entre quatre planches.
Avec la superbe Monolithe, bloc de rock ténébreux, et Sous la Pyramide, long morceau aérien de plus de sept minutes, se termine cette titubante déambulation poétique, ces errances métaphysiques et philosophiques. Le rock « chattertonien », dans un final épique, tour à tour progressif, atmosphérique, hanté par de longues nappes électroniques, vient fermer cette boucle labyrinthique et nous abandonne à notre triste sort, perdus que nous sommes, dans les méandres de notre existence.
« Nous cherchons partout, les yeux dans le noir. Nous cherchons toujours, les yeux dans le noir. »
À force de chercher, Feu! Chatterton est en train de se trouver !
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Renaud ZBN
Feu! Chatterton – Labyrinthe
Label : Universo em Fogo / Virgin France
Date de sortie : 12 septembre 2025
