Après Les Enfants loups, excellent lauréat du Prix Le Point du polar européen 2025, la romancière allemande confirme son talent avec ce deuxième roman. Elle reprend le même thème des violences faites aux enfants, mais en poussant plus loin les curseurs du thriller psychologique dans un huis-clos au coeur d’une forêt suédoise qui tourne au cauchemar pour une famille.

Avec Fynn, leur fils de cinq ans, un couple d’Allemands, Henrik et Nora, partent pour des vacances censées être idylliques. Direction le chalet d’enfance d’Henrik dont il garde de merveilleux souvenirs avec son grand-père récemment décédé, au cœur du Västernorrland suédois. Mais voilà que Fynn disparaît alors qu’il jouait dans la forêt avec son père. Et dans le même temps, une jeune femme, Rosa, découvre le squelette d’un enfant dans cette même forêt.
Vera Buck prend son temps pour poser son intrigue et ses personnages sans pour autant que sa mise en place sur quasiment cent pages soit ennuyeuse. On sent bien que quelque chose cloche derrière les apparences du gentil couple et de leur petite maison dans la forêt. Difficile d’oublier la phrase en exergue « Ils cherchaient l’idylle. Ils trouvèrent un cauchemar », elle tinte dans la tête du lecteur, à l’affût du moindre indice du drame qui couve. Des voisins inquiétants. Un chalet inhabité mais qui a des traces visibles de visite. Une cabane dans les arbres qu’Henrik est sûr de connaître mais sans se rappeler précisément. Un prologue terrifiant.
Surtout, Vera Buck utilise à merveille tout le potentiel anxiogène de son décor naturel : cette forêt épaisse au bord d’un lac sombre, un des derniers espaces sauvages européens tout proche de la Laponie. L’expérience de lecture est très sensorielle, ranimant des peurs enfantines réveillées par la disparition de l’enfant. On se sent enveloppé par cette nature qui pourrait être protectrice mais qui isole aussi complètement les personnages dans une solitude oppressante.
La Cabane dans les bois reprend la même mécanique narrative que celle des Enfants loups : une choralité à quatre voix proposant de nombreux changements de perspective. Et ce qui est très fort, c’est que le lecteur ne peut s’appuyer sur aucun tant leur fiabilité peut être remise en question à un moment ou un autre. Un vrai jeu du chat et la souris entre l’autrice et ses lecteurs.
Il y a la mère, qui semble droite et raisonnable mais qui cache un secret fragilisant son couple. Il y a le père, écrivain pour enfant, à l’imagination débordante au point qu’il est souvent accusé de mythomanie avancée. Il y a Rosa (le meilleur des personnages), jeune femme un peu bizarre «qui a toujours aimé la compagnie des cadavres», et creuse la forêt à la découverte de cadavres d’animaux pour analyse métabolomique dans la grange de son père (afin de déterminer quelle variation apporte la décomposition de différentes espèces animales dans le métabolisme des arbres). Et il y a un autre personnage dont il ne faut rien révéler, dont les révélations terrifient au plus au point.
Le récit alterne présent et passé. Le procédé est quelque peu éculé par un suremploi dans les polars et thrillers, mais ici, il prend tout son sens pour apporter de la profondeur au thème de l’innocence perdue et des violences faites aux enfants. Ce n’est pas un hasard
si Vera Buck parsème son texte de référence à Astrid Lindgren qui présentait à travers Fifi Brindacier une vision émancipatrice de l’enfance, l’enfant incarnant la liberté de penser, d’agir, de désobéir aux règles injustes, de refuser l’autorité arbitraire. Soit un terrible contrepoint à ce que vivent les enfants dans son roman à elle ou ce qu’ont vécu les adultes lorsqu’ils l’étaient.
Le personnage de Henrik lui permet d’explorer des thèmes forts : les tensions intrafamiliales autour de secrets et mensonges, la transmission transgénérationnelles des traumatismes, ainsi que le rôle inconscient de la mémoire pour s’en protéger. Henrik est hanté par une culpabilité dont il ne comprend pas l’origine, hanté par des souvenirs d’enfance qui lui revienne lorsqu’il découvre la cabane dans la forêt sans parvenir à relier les fils du passé avec ceux du présent.
Autant les cent premières pages avançaient sur un tempo adagio, autant les cent dernières sont conduites allegrissimo sur un suspense frémissant au possible. Multipliant les surprises et les rebondissements, elles se lisent en apnée tellement on est à la fois soufflé par la dramaturgie mise en place (à la limite du too much, mais ça fonctionne tellement bien …), qu’ému par ce thriller psychologique intense.
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Marie-Laure Kirzy
