Profitons de cette fin d’année pour revenir sur un très bon polar français paru en 2025. Avec son deuxième livre, Le Livre des prodiges, Olivier Ciechelski nous offre un roman noir original, mâtiné de surnaturel et de mysticisme.

L’amateur de polars ne sera guère dépaysé par les premières pages du Livre des prodiges, deuxième roman d’Olivier Ciechelski après le remarqué Feux dans la plaine (paru en 2023 mais à côté duquel on est pourtant passé). On y découvre Nora, jeune policière qui rêve d’être promue enquêtrice. Mais cette croyante à la foi intense n’est guère appréciée de ses supérieurs et collègues. Elle doit donc se contenter d’un poste de patrouilleuse à Gennevilliers. Une nuit, accompagnée de ses deux coéquipiers, Djabri et William, Nora découvre un conteneur à demi immergé dans la Seine. A l’intérieur : les cadavres de femmes africaines et celui d’un enfant. Malgré les ordres de sa hiérarchie, Nora décide d’enquêter.
Tout commence donc de manière assez classique et le lecteur s’attend presque à un énième récit policier sans surprises : l’héroïne solitaire, les flics ripoux, le trafic d’êtres humains, le décor urbain étouffant… Rien de nouveau, a priori. Et, de fait, ces éléments sont bien là mais Olivier Ciechelski les utilise avec un évident savoir-faire.
Par ailleurs, on est en fait assez vite convaincu que ce Livre des prodiges ne sera pas un polar tout à fait comme les autres. Nora apparaît d’emblée comme un personnage singulier. Animée par une foi inébranlable, elle est certaine de pouvoir exercer son métier comme s’il s’agissait d’une mission divine. Ses fréquents entretiens avec le curé de Gennevilliers sont autant de moments qui orientent le récit vers une dimension mystique à laquelle vont rapidement s’agréger des éléments surnaturels et des rites africains : Nora, mordue par un serpent, se retrouve (peut-être) dotée de pouvoirs ; tandis que les prostituées qu’elle rencontre au cours de son enquête seraient prisonnières de proxénètes pratiquant les rites du juju…
Le roman policier bascule donc régulièrement dans un univers complexe, à la lisière du réel, alors même que Ciechelski développe des thèmes au contraire plus conventionnels : la pauvreté, la violence, la corruption. Cet étrange agrégat n’est pas sans évoquer les derniers romans d’Antoine Chainas, auteur rare mais majeur du polar français et désormais référence incontournable pour de plus jeunes écrivains.
La réussite du roman d’Olivier Ciecheslki tient donc dans cette capacité à développer une intrigue policière finalement assez traditionnelle. Le romancier n’évite quasiment aucun des passages obligés du genre. Mais alors que ce balisage pourrait être rédhibitoire, il sert au contraire ici de repère dans un récit qui s’autorise régulièrement les sorties de route pour entraîner le lecteur dans des zones moins fréquentées. Ce hors-piste est souvent rendu possible par une écriture foisonnante, peut-être un peu verbeuse par endroits, mais aussi régulièrement impressionnante dans sa volonté d’embrasser tout un monde d’une folle complexité. Romain urbain, mais aussi de la marge, Le Livre des prodiges est habité par la nature, l’industrialisation, la magie, le spirituel et c’est tout cela que l’écriture d’Olivier Ciechelski tente d’aborder, en usant notamment souvent de longues énumérations hypnotiques et fascinantes.
Le Livre des prodiges est donc bien un polar, mais un polar atypique, sauvage et urbain, magique et réaliste. C’est beaucoup et le récit tangue parfois sous le poids de tout ce que Ciechelski a voulu y mettre. On regrette par endroits que le roman ne soit pas plus resserré, plus efficace peut-être, mais l’on ne peut que s’incliner devant l’ambition d’un auteur qu’il conviendra désormais de suivre de près.
