Catalogue de Marie Grisard, Stanislas Janssens, Arto Van Hasselt et Olivier Spinewine

catalogue_cover.jpgSelon Wikipédia, l’Art brut regroupe des productions réalisées par des non-professionnels de l’art indemnes de culture artistique oeuvrant en dehors des normes esthétiques convenues (pensionnaires d’asiles psychiatriques, autodidactes isolés, médiums…). Dubuffet entendait par là  un art spontané, sans prétentions culturelles et sans démarche intellectuelle.

Parce que Catalogue ne répond à  aucun de ces critères, il n’est donc pas de l’art brut, au sens esthétique du terme. On flirte avec la limite. Il y a pourtant dans cette nouvelle démarche -plutôt qu’album- de l’auteur du dépouillé Clair Soleil une volonté de questionner ce qui fait l’art, ici, le neuvième: ses codes, sa forme, son récit, son dessin, ses lettres de noblesse, son auteur dit »de bande-dessinée ». Spinewine, comme à  son habitude, ronge jusqu’à  l’os un dessin avare. Un bras peut n’être résumé qu’à  l’expression de son mouvement, un regard à  l’impression de son insistance. On aime ou on rejette en bloc. Il n’y a guère de milieu. Ce qui me laisse à  penser que cet album risque de ne pas trouver facilement son public. Grandeur et misère d’un public formaté, mais aussi démonstration supplémentaire de l’analyse sémantique menée ici par Spinewine et sa classe.

Sa classe? Oui, sa classe. Quelques jeunes visiteurs de son grenier BD-phile comme autant de Platon autour du pas toujours si sage Socrate. J’aime bien la phrase, mais je sais qu’Olivier va me dire que j’en fais trop. Et oui, c’est vrai, j’en fait trop. Olivier Spinewine a tenu en 2008 un atelier BD avec quelques gamins de Bruxelles. L’idée des parents: éloigner les enfants de la maison éveiller les marmots à  la culture de la bande dessinée. Le professeur s’est donc pris à  son rôle, non pas de transmetteur de savoir mais de catalyseur de formation.

Olivier, qui n’aimait pas tant si je me souviens bien, l’enseignement de la littérature ex-cathédra pour des jeunes de 15 ans, se révèle un philosophe antique péripatéticien. Une ballade en forêt devient trame d’un scénario. Une jeu façon mouvement de jeunesse au musée de l’Afrique centrale devient à  la fois cadre d’une rencontre avec des professionnels et exercice de dessin minute imposé. Son auditoire appréhende par le jeu, ce qu’il n’aurait sans doute pas intériorisé dans le confinement d’un atelier. La leçon a sans doute plus de force que n’importe quelle école plus habituelle. Le scénario renvoie à  sa découpe, la découpe scénaristique renvoie aux différents angles de vues, les voies multiples, le mouvement, les différents plans. Les élèves ont sans doute de quoi s’enthousiasmer. Les parents aussi.

Mais Spinewine n’en reste pas là . Il pousse la démarche plus loin. Un livre, une bande dessinée, un catalogue, ce sont des dessins et des histoires, mais aussi des niveaux de langue, une économie de l’image, une industrie du graphisme, de la PAO et de l’édition. Qu’à  cela ne tienne. Les exercices iront plus profondément encore. Les cours se muent en démarche d’édition. Le dessinateur apprend à  ses trois apprentis, comment on compose un livre, comment on le segmente, comment on choisit sa découpe, et comment il suit différentes étapes de productions. Et si Marie Grissard, Stanislas Janssens et Arto Van Hasselt sont de nouveaux artistes, il est dès lors plus que normal de leur consacrer une exposition. Et de cette exposition doit naître un produit dérivé. Cette exposition imaginaire, dédiée aux histoires de bande dessinée aura donc son catalogue dont l’album est l’illustration. ce catalogue d’exposition est construit comme tel. Avec des parties dédiées aux oeuvres et d’autres dédiées à  l’exégèse, avec ce mélange subtil d’art, de mercantilisme et de technicité.

Et vous savez quoi? Spinewine joue à  aller plus profondément encore. Une fois la démarche terminée – du cours à  la création, on est passé ensuite à  la réalisation, au marketing et à  la vente- Olivier Spinewine s’amuse à  interroger le lecteur. Et à  réintégrer un travail pragmatique dans le giron de l’art. Il saupoudre de ses non-dessins les créations d’enfant. Avec son style particulier, on hésite parfois. Où est Arto? Où est Marie? Où est Stanislas et où se cache Olivier? On joue avec le catalogue, on s’énerve souvent…. mais pourquoi dessine-t-il comme le pire des marmots, ah non c le marmot, non c’est lui… On est mal à  l’aise. Est-on en train de lire une BD? Est-on en train de lire un catalogue? Un morceau d’art industriel? Raaaaaa impossible à  dire. Et puis moi, qui chronique l’album? Suis-je partie ou spectateur du processus créatif? Mon interrogation sur les qualités et la valeur générale de l’album n’ont-elles pas été anticipées par Spinewine qui lira cette chronique un sourire énigmatique aux lèvres, sous l’éternelle cigarette qui nuit à  la santé? Suis-je en train de critiquer un livre de bande dessinée ou suis réquisitionné pour évaluer le travail pédagogique d’un collègue….
Dur.

Alors on mettra à  Spinewine la note de 3_5.gif, et celle de 5.gif à  ses trois dessinateurs d’élèves.

Denis Verloes

2008
180 p
235,3 mm x 305,5 mm
Papier Munken 90gr et Bisoset 80 gr
Impression offset quadri
Cousu fil de lin, dos collé
ISBN 9782930561004
25 €¬
disponible
Lustre / Le comptoir des indépendants