La Gueule de l’Emploi, de Vincent Wackenheim

C.’est étonnant comme certaines lectures tombent pile poil au moment d’une actualité brûlante qui ne fait que renforcer son propos. Je finis la gueule de l’emploi, récit rocambolesque de chômeurs s’associant pour une entreprise d’aide sociale de proximité – paiement cash, merci. Et voilà  qu’un ministre parle d’assistanat cancérigène pour les bénéficiaires d’aide sociale. Le monde est bien fait, quand même. Ou pas.

Mine de rien, Wackenheim a écrit une satire contemporaine, comme Montesquieu ou Voltaire en leur temps. Seniors licenciés pour des broutilles, stages Activation/Remotivation à  la noix chez Pôle Emploi, refonte du monde au kebab du coin pour ces désormais marginaux de l’univers du travail : tous les fondements pour une joyeuse descente en règle des travers des politiques sociales actuelles. Le plus intéressant dans cette démarche, c’est la lente dérive vers l’absurde qui tend vers le possible, ces situations ubuesques qui, somme toute, face au dérèglement des codes sociaux de notre environnement, pourraient presque trouver un écho réaliste. Car le collectif de ces chômeurs un peu désarmés va rapidement se concrétiser en LGDE (gueule de l’emploi, donc) au service de toutes les demandes de proximité pour organiser des simulacres d’action (du mariage à  célébrer au salon littéraire à  représenter – et dédicacer en sus des bouquins qu’on n’a pas écrit). Bref, l’illusion, le maquillage pour la survie. Mais cash, hein, impératif économique, le besoin et l’argent ne sont jamais bien loin, les nerfs d’une guerre incessante, quotidienne, éprouvante.

Mais le lecteur n’est pas là  pour chialer, l’auteur ne veut pas de larmichette ou d’apitoiement faciles. Et c’est une cascade de rires que vous risquez de déclencher, grâce à  un style alerte, abrupt, un peu déconcertant au début – Wackenheim n’a que faire des règles de syntaxe et de ponctuation. Il dynamite ses paragraphes de telle sorte que l’ennui ne pointe jamais le bout de son museau et que son propos pourtant sombre n’en ressort que plus intense et efficace.

Et, par les temps qui courent, cela ne peut faire que du bien. C.’est même salvateur.

Jean-François Lahorgue