Choisir 5, 10, 15 ou 20 films, ou plus encore, c’est réduire sa propre vision du cinéma à l’essentiel. C.’est faire des choix difficiles pour faire comprendre au mieux nos goûts et nos sensibilités, sans prétention aucune, sans asséner aucune vérité car nous avons tous des coups de coeur différents, des oeuvres d’art qui s’imposent à nous comme des fulgurances, autrement dit des oeuvres de chevet pour simplifier le principe.
10 films de chevet de Patrick Braganti :
Les Demoiselles de Rochefort – Jacques Demy – 1967
Si l’idée d’enchantement peut exister au cinéma, c’est bien le nantais Jacques Demy qui l’incarne. Je ne connais pas d’autre film qui donne l’envie de chanter et de danser sitôt la salle quittée. Faussement kitsch ou ringard, l’oeuvre de Demy continue non seulement à passer les années mais témoigne surtout de la création d’un univers personnel et hautement reconnaissable.
Playtime – Jacques Tati – 1967
Un des plus grands films du monde par son audace formelle et ses incroyables qualités visionnaires. Génial et grandiose inadapté au monde moderne dont il dénonce avec humour et sans acrimonie la folie et l’incohérence, Jacques Tati détient une place d’honneur dans mon panthéon personnel.
Tous les autres s’appellent Ali – Rainer Werner Fassbinder – 1974
Le stakhanoviste Fassbinder s’approprie avec génie les codes du mélo pour les passer au tamis de ses propres combats, où la dénonciation des discriminations raciales et sexuelles domine. l’économie de moyens et la fidélité aux comédiens caractérisent l’oeuvre du cinéaste qui, vision après vision, ne perd rien de son mordant.
Les Lumières de la ville – Charlie Chaplin – 1931
Adieu déchirant et métaphorique de Chaplin au cinéma muet en magnifiant l’art de la pantomime face à une héroîne pourtant aveugle dont la voix est le seul instrument de communication. Le film est pétri d’humanité à l’image de son héros vagabond.
Shining – Stanley Kubrick – 1980
Dans la filmographie éclectique de Kubrick, Shining réinvente les codes du film d’horreur dans le décor légendaire et claustrophobe d’un grand hôtel bloqué sous la neige. Le film enchaine les scènes d’anthologie avec en apogée celle de la poursuite dans le labyrinthe.
In the Mood for Love – Wong Kar Wai – 2000
Le sommet de l’esthétisme dans une histoire d’amour déchirante et inaccomplie, parce qu’elle est inconcevable dans le Hong Kong des années 60 corseté par les traditions et la promiscuité du logement. Sur fond de valse langoureuse, les ballets en apesanteur du beau ténébreux M Chow et de la divine et douloureuse Mme Chan restent à jamais comme les plus beaux moments offerts par le cinéma ces dernières années.
Les Chansons d’amour – Christophe Honoré – 2007
Recyclant avec brio et déférence le cinéma de Demy, Honoré plus qu’inspiré réussit la fusion entre légèreté et gravité en croyant à la force de la chanson. Dans les rues tristes et pluvieuses d’un Paris hivernal, Ismaël lutte les yeux au ciel en suant sang et eau avec le deuil impossible. Film de l’acceptation de la douleur et du renouveau, Les Chansons d’amour est porté par l’espoir.
Le Lieu du crime – André Téchiné – 1985
Téchiné est le cinéaste romanesque par excellence où la violence des sentiments et des passions s’exprime par effet de miroir dans celle d’une nature omniprésente et d’éléments déchainés. Catherine Deneuve y trouve un de ses plus grands rôles, submergée par la passion et l’explosion des barrières de l’éducation.
Manhattan – Woody Allen – 1979
Dans ce film à la fois mélancolique et d’une vitalité revigorante, Woody Allen fait de son quartier fétiche un personnage à part entière, tout en multipliant les scènes cultes à jamais gravées dans la mémoire des cinéphiles. Il s’y montre en particulier visionnaire en dénonçant les ravages causés par la télévision – et les mass media abrutissants – tout en pourfendant le snobisme des intellectuels dont il ne nie pas faire partie. Le réalisateur de Zelig y déploie déjà son talent de scénariste et d’observateur aussi cruel qu’amusé.
Elephant – Gus Van Sant – 2003
Le réalisateur de Portland n’est jamais meilleur que dans l’abstraction et l’expérimental. Inspiré de la tuerie de Columbine, le film ne cherche aucune explication mais, en s’intéressant aux heures qui précédent le massacre, s’attache à dépeindre l’état de mélancolie et d’apesanteur qui saisit les adolescents captés en longs travellings évanescents. Demeurant une oeuvre sidérante, le film magnifie la beauté de l’instant présent.
A part « Le Lieu du crime » – un Téchiné mineur pour moi, une excellente liste.