Rencontre avec Benjamin Renner, l’auteur du Grand Méchant Renard

Prix Jeunesse du Festival de la BD Angoulême 2016, Benjamin Renner revient sur l’écriture du Grand Méchant Renard avec, pour bientôt, une adaptation de la BD à la télévision.

Benjamin Renner © Gabriel Olsen

Benjamin Renner, auteur du Grand Méchant Renard, conte humoristique fermier extrêmement drôle au succès mérité, déjà récompensé par le Prix Fnac, était présent cette année au festival d’Angoulême. Au moment de cette interview, Benjamin ne savait pas encore que le soir même il recevrait le Prix Jeunesse du festival (le vrai !). Surpris lui-même par l’engouement dont fait l’objet sa bande dessinée, il ressemble, avec son regard juvénile et pétillant, à un grand enfant en train de vivre un conte de fée… Il est des succès qui font plaisir à voir !

Le Grand Méchant Renard est une des bombes comiques de l’année 2015. Tu as déjà été récompensé par le Prix Fnac. Ça fait chaud au cœur ?
C’est inattendu…

Vraiment ? Tu savais bien qu’il y avait eu des retombées positives ?
Oui, mais pour moi ça reste une petite BD assez légère, une petite histoire, je ne sais pas comment l’expliquer. J’ai encore du mal à réaliser, mais j’ai eu tellement d’écho de gens qui sont venus vers moi en dédicace en me disant : « ça fait du bien en ce moment par rapport aux événements (les attentats de 2015, ndlr) », et du coup je me demande si ce n’est pas lié à ça… C’est une BD qui bénéficie d’un contexte.

C’est vrai qu’en ce moment ça fait du bien de rire…
Je sens que c’est très lié à ça en fait, qu’il y a une volonté de récompenser la légèreté. Ça m’a fait plaisir mais je ne me sens presque pas légitime d’une certaine manière par rapport à d’autres artistes en sélection…

Ernest et Célestine photo

Parle-nous en deux mots d’Ernest et Célestine co-réalisé avec Vincent Patard et Stéphane Aubier…
Le film a eu un beau succès d’estime et n’a pas forcément très bien marché en salles même si par rapport à la moyenne des films d’animation, c’est quand même un très bon score mais par rapport au budget du film, c’était en deçà des espérances.

Pour en revenir au Grand Méchant Renard, on sent bien la patte « animation ».  J’avais presque l’impression de regarder du Tex Avery, avec cet humour punchy un peu flegmatique…
Ça paraît logique, je viens de là. Mon parcours est un peu particulier, parce que j’avais fait les Beaux Arts d’Angoulême, je me destinais à la BD, et en faisant de la BD, j’avais une inclination pour l’animation puisque je faisais des cases très proches les unes des autres. Et finalement je reviens à la BD après avoir fait un détour par l’animation, et je pense que j’ai gardé cette touche…

Oui d’ailleurs il n’y a pas de cases dans le Grand Méchant Renard
Oui c’est ça, tout est dans l’acting… il doit y avoir une dizaine de scénettes dans la BD bd, c’est presque des plans de films…

Comme quoi la case n’est pas forcément indispensable…
Ça, Sempé l’avait prouvé il y a cinquante ans…

Dans le Grand Méchant Renard, j’ignore si c’est un hasard ou si c’est délibéré, c’est un peu en phase avec l’actualité récente sur le mariage pour tous et la problématique de l’adoption, non ?
C’était une pure coïncidence car j’ai écrit l’histoire bien avant les débats, et par contre, quand je dessinais la BD, on était en plein dedans, d’ailleurs les manifs partaient en bas de chez moi, à Paris.

On peut y voir comme un signe, presque ?
Je ne sais pas trop, en tout cas j’avais l’impression qu’ils venaient pour moi [rires]… J’en parlais encore ce matin devant des collégiens et leur expliquais que c’était une pure coïncidence. Je verrais plus le Grand Méchant Renard comme un conte. Je n’y ai mis aucune idéologie et si on peut y voir des allusions, je ne suis pas en train de conforter telle ou telle chose. Il y a toujours des gens pour faire des rapprochements par rapport à l’actualité, mais ça n’a rien de militant, et c’est le principe du conte, c’est-à-dire qu’il peut être utilisé comme un emblème militant… par exemple je ne sais pas si tu connais La Légende du Roi des singes, un conte chinois qui a inspiré Son Goku dans Dragon Ball. C’est un personnage qui a été repris par les Chinois comme héros communiste, alors que le conte a été écrit vers 1500. Le communisme n’existait pas, mais les idées qui se dégageaient de ce personnage ont été reprises… c’est pour ça que je me revendique beaucoup du conte ou de la fable qui pourront être utilisés pour exprimer ce qu’on a envie de dire, voire convaincre les gens. Mais en ce qui me concerne, je suis neutre dans ce débat… Lorsqu’on m’en parle, à chaque fois ça me fait rire…

Y aura-t-il une suite étant donné le succès ?
Je ne pense pas à une suite directe, c’est-à-dire qu’on ne verra pas le Grand Méchant Renard 2, mais par contre j’envisage tout à fait de revenir à cet univers fermier, et de développer une histoire autour d’un autre personnage, un nouveau ou un déjà existant. Il faut juste que je trouve une histoire qui soit assez forte. Le problème c’est que j’ai maturé le Grand Méchant Renard pendant très longtemps, et aujourd’hui je n’ai pas forcément en tête un récit qui puisse être à la hauteur… et puis surtout là, j’ai envie de faire autre chose.

Le Grand Méchant Renard - Benjamin Renner

Du coup, tu vas rester dans la veine humoristique ?
J’aurai toujours envie de garder le ton de l’humour pour des histoires ayant un fond très léger mais avec un thème central. De toute façon je ne pourrai jamais me débarrasser de l’humour, c’est en moi, c’est comme ça…

Le but, c’est de rester tel qu’on est, et de faire ce qu’on fait de mieux…
Selon moi une œuvre, que ce soit une BD ou un film d’animation, je l’envisage comme une cour de récréation. C’est comme si je mettais en place des jouets avec lesquels je vais m’amuser… Je peux me projeter dans les personnages et ça m’amuse.

On ressent vraiment cette jubilation à la lecture… Une question par rapport à ta sélection pour le prix Jeunesse, je trouve ça un peu réducteur, parce qu’en fait c’est plutôt tout public. Ça ne te gêne pas ?
Déjà je suis surpris d’avoir un prix [rires]… Mais non ça ne me gêne pas, en fait j’aime bien travailler pour tous les publics. Je veux vraiment faire quelque chose qui s’adresse à tous, notamment parce que j’adore la pédagogie et l’idée qu’on puisse apprendre sans s’en rendre compte, même si le Grand Méchant Renard n’a pas vraiment cette prétention, mais j’aime bien l’idée d’aborder un thème qui va être accessible à un enfant. Dans le Grand Méchant Renard, il y a la problématique de l’image de soi, des idées préconçues sur le rôle que tu es censé avoir dans la société. Mon renard, il est censé être futé, rusé, et il est tout l’inverse de ça… la question, c’est comment il va apprendre à assumer le fait qu’il n’est pas né pour être un renard…

Un rôle à contre-emploi, quoi…
Tout à fait… Du coup quand j’ai fait la BD, ça m’amusait, mais je craignais que les enfants ne lisent pas l’album parce qu’il y a beaucoup de dialogues… et au final, j’étais agréablement surpris de voir qu’au contraire ils ont accroché. J’ai déjà trois témoignages de parents qui me disent que leurs enfants qui ne lisent pas ont lu le Grand Méchant Renard, et ça, ça m’a touché énormément ! Il y a même des parents qui la lisent avec leurs enfants et jouent ensuite les scènes ensemble !

planche Le Grand Méchant Renard - La BD de Benjamin Renner‎

C’est du dessin animé…
Oui il y a quelque chose comme ça… l’un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire, c’est que le livre soit accessible à la jeunesse, que les enfants puissent l’apprécier et le récompenser… les prix jeunesse que j’ai eus ont été attribués par des jurys d’enfants… Je ne le vois vraiment pas comme un truc réducteur, au contraire ça m’a vraiment soulagé de voir que les enfants y avaient accès…

Tu as sorti un précédent ouvrage sous le nom de Reineke, Un bébé à livrer, et donc du coup tu as utilisé ton vrai nom juste pour le Grand Méchant Renard ?
C’était une demande de l’éditeur et je lui ai fait confiance … pour ce qui est du le livre, je fais l’histoire, éventuellement je regarde la qualité de la présentation, mais tout ce qui concerne la diffusion, c’est leur boulot. Ce sont eux qui ont dépensé l’argent, alors je les laisse faire. S’ils me disent que c’est plus commode pour eux, je n’ai pas envie de leur mettre de bâtons dans les roues. Moi, ça ne me dérangeait pas plus que ça, et puis personne n’arrivait à prononcer ce pseudo, je l’ai abandonné au passage !

Et sinon, le Grand Méchant Renard va s’animer paraît-il ?
Oui, on l’a adapté en film de 26 minutes pour la télévision, et c’est pour ça qu’en ce moment je ne suis pas disponible pour la remise des prix. On enregistre actuellement les voix pour le film, ce qui nous laisse peu de temps pour le reste. La production a commencé en novembre et j’ai dû annuler toutes les invitations à droite à gauche en leur disant combien j’étais désolé ! Mon planning est hyper compliqué à gérer… du coup j’ai fait Saint-Malo, et là Angoulême, mais je ne viens que le week-end…

La sortie en film est prévue pour quand ?
On est en train de finir, et en fait c’est un peu particulier parce qu’on fait trois films, Le premier c’est le Grand Méchant Renard, et il y en a deux autres qui sont avec un cochon et un lapin, bref c’est dans le même univers… Ça sera diffusé sur Canal+ fin 2016.

Juste un petit mot par rapport à la polémique sur l’absence de femmes dans la sélection pour le Grand prix, qu’en penses-tu ?
Je ne voudrais pas blâmer les mecs qui ont fait la sélection car à mon avis, quand ils ont réalisé qu’ils n’avaient pas mis de filles, ils ont dû devenir blancs… et ça aurait pu m’arriver si j’avais été à leur place. Là, ils s’en prennent plein la gueule, et en plus ils ne peuvent pas s’en sortir, quoi qu’ils fassent, ils vont se faire défoncer… Par exemple, ils ont remis des femmes mais en même temps on pinaille parce qu’il y a un côté quota qui est super désagréable, et s’ils ne l’avaient pas fait, on leur aurait dit « vous êtes bornés » !

Ils se sont un peu emmêlés les pinceaux, oui…
Ils ont réagi dans la panique mais quand une connerie est faite, elle est faite…Là, ils ont fait leur mea culpa et se sont expliqués, voilà… ce que je n’ai pas aimé, c’est qu’on leur tape dessus jusqu’à ce qu’ils soient à terre…

Oui je ne pense pas que c’était vraiment délibéré, nous les mecs, on est tous un petit peu macho plus ou moins inconsciemment, non ?
Très juste, moi-même j’ai pris conscience que je l’avais été plusieurs fois sans le vouloir…

Et il y a de très bons auteurs féminins…
La question ne se pose même pas… En tout cas je trouve que cette polémique nous a ouvert les yeux à tous… on verra ce qui se passe après, mais qu’elle ait existé, c’est bien, même si je ne te cache pas que j’ai regardé ça de loin…

Propos recueillis par Laurent Proudhon à Angoulême, le 30 janvier 2016