The Lem’s nous invite à une errance dans une musique délicieusement datée où le spectre des Thugs ou de Jesus And Mary Chain hantent les murs.
En France, en musique comme dans toute autre activité, il faut savoir respecter les conventions, on n’aime pas non plus le cumul des mandats. De tout cela, The Lem’s, mené par Patrick Favre et Jeanne Morisseau, n’a que faire. Car en tant que terme de cumul de mandats, Jeanne Morisseau se tient bien là, elle qui a refusé de choisir entre l’écriture poétique, le roman et la musique. Les conventions, c’est surtout fait pour être oublié ou alors pas respecté.
Ce qui se dégage de l’écoute de ces cinq titres, c’est cette rage acceptable, presque prudente qui irradie la musique de The Lem’s. Les trop rapides n’y entendront pas grand-chose mais les plus attentifs y trouveront cette urgence qu’on trouvait autrefois dans les disques de Bijou par exemple.
Car étrangement, c’est à Bijou que l’on pensera parfois, avec cette étrange impression d’être dans deux espaces temps, la ligne claire d’Olive et la saturation des Thugs ou la poésie scandée de Colin Newman . Il y a quelque chose de délicieusement daté dans la musique de The Lem’s. Pourtant, ne voyez rien de péjoratif dans cette allégation.
Bien au contraire, cette dimension faussement passéiste contribue de l’attachement que l’on ressent toujours plus à ce disque. Entre la théâtralité du chant qui ramène au meilleur du Complot Bronswick de François Possémé ou à la mélancolie spectrale de Philippe Pascal, on retrouve ici certaines pulsions qui éveilleront de vieux souvenirs aux oreilles de ceux qui ont un jour écouté Script Of The Bridge ou Virus Meadow.
Il est grand temps, finalement ne fait que reprendre le vieux précepte usé jusqu’à la corde d’une chanson avec un refrain, une guitare, une basse, une batterie. Un retour aux fondamentaux, un Back to basics comme dit Tonton William. Un peu comme si la révolution électronique n’était pas passée par là, si des riffs de guitare s’auto suffisaient. Un peu comme si après le Velvet Underground, tout ce qui avait découlé n’était pas grand-chose.
Certes, c’est parfois maladroit mais pourquoi la maladresse devrait-elle être toujours perçue comme un défaut ? Elle vient au contraire ici additionner à l’énergie un supplément de sincérité. A d’autres moments, on croit rencontrer dans certaines inflexions de voix de Jeanne Morisseau une Catherine Watine qui tenterait l’électricité.
Alternant au chant entre voix féminine et masculine, des Egarés en ouverture tout en scansion exutoire et enthousiasme à Il est grand temps comme un cousin proche de l’univers de Githead, l’autre projet de Malka Spiegel et de Colin Newman déjà cité plus haut, The Lem’s investit des terres certes référencées mais il se dégage une telle volonté de cette musique qu’on se laisse vite gagner par leur fièvre à la limite de l’acte régressif.
Construit autour d’une structure Pop, les cinq titres n’en oublient pas pour autant une formule abrasive ou une structure parfois répétitive. Des envies Noise ne sont jamais loin.
Imaginez la rencontre de Bob Mould avec un parolier français, joignez-y une évidente poésie et la contagieuse envie d’expression de Patrick Favre et de Jeanne Morisseau et vous obtiendrez à quelque chose près The Lem’s. Un disque de Rock comme un retour aux origines, comme un acte premier…
Greg Bod
The Lem’s – Il est grand temps
Label : Autoproduction
Sortie : décembre 2014