Nicolas Godin – Contrepoint

Contrepoint, par une moitié du duo Versaillais Air, c’est un peu le Piccolo Saxo & Cie , pour les rétifs au classique. Subjugué par l’oeuvre de Bach, Godin développe huit façons de rendre hommage au génie du classique germanique.

Nicolas Godin - Contrepoint

Quand j’étais petit, dans un autre siècle, mes parents constatant que je n’avais pour la musique classique aucune appétence particulière, m’ont offert le 33T de Piccolo Saxo et compagnie au pays des instruments de musique. Rien n’y fit pourtant. Je me suis détourné  de ce disque pédagogique comme j’étais déjà lassé par la musique dite classique dont je pouvais certes percevoir la beauté instrumentale, mais une musique qui ne parlait pas une langue que je pouvais comprendre.

Nicolas Godin - contrepointContrepoint, par une moitié du duo Versaillais Air, c’est un peu le Piccolo Saxo & Cie , pour les rétifs au classique. Subjugué par l’oeuvre de Bach, Godin développe huit façons de rendre hommage au classique germanique. Au mimétisme de la virtuosité du génie de Leipzig, à la démonstration des prouesses des instruments imaginés par le compositeur allemand, Godin préfère lui dédier un monument, composer une oeuvre éminemment moderne en se servant des forces de l’oeuvre initiale pour démontrer que, si à ses yeux le génie historique est indépassable, il n’a pas pris une ride contrairement à ce qu’en pensent des esprits chagrins de mon espèce. Aux collègues du Monde  Nicolas Godin disait récemment:

« Cela m’a fait l’effet d’une révélation. Je me suis plongé dans l’œuvre de Bach, j’ai appris à la jouer, malgré mes limites techniques. Peu à peu, j’ai compris qu’il était à la source de toutes les musiques qui m’ont nourri. J’ai découvert ses immenses audaces harmoniques, ces accords malsains qu’il utilise sur la Cantate BWV 54, par exemple ! J’avais trouvé la raison d’être de mon disque : tirer le fil qui va de Bach à Morricone, Elfman, Legrand ou Colombier. »

Le côté pédagogique passe comme une lettre à la poste. Impossible à celui qui comme moi goûte mal au classique de soupçonner tous les emprunts que Godin fait à l’oeuvre originale de Bach: ses préludes, ses fugues, ses cantates transformées en huit pièces électroniques vaporeuses, dans la lignée du Virgin Suicides de Air. Je me prends à naviguer sur le charme discret de l’ensemble, mélangeant instruments réels (guitare électriques, percus cordes…) et .vst dans un Contrepoint qui met un peu de temps à s’installer dans l’oreille, pour ne plus la quitter. Ah si les 33T de ma jeunesse avaient eu autant de classe, j’aurais pu tenter d’écrire sur un blog dépoussiérant la musique orchestrale…

Godin, fidèle à la mission qu’il s’est donnée pour retrouver le plaisir de composer en marge du ronron de Air, trace des ponts entre les musiques anciennes et modernes, entre le classicisme européens et les cultures du monde. Nicolas Godin emmène Bach en Amérique latine, le fait croiser la route du rock (la musique pas le festival) stylé de Thomas Mars de Phoenix, trace des ponts entre le compositeur et la poésie italienne; démontre sans avoir l’air professoral barbant que la musique de Bach est emprunte de modernité, si tant est qu’on ose lui botter les fesses pour s’affranchir du poids de la révérence et de la tradition. Je me souviens, étudiant de lettres, comment je pestais contre les interprétations classiques de l’oeuvre de Molière, figée dans une langue du 17e siècle lettrée dont Poquelin pensait déjà à l’époque qu’elle n’arrivait pas à s’imprégner de la véracité du peuple contemporain tel qu’en usait la comédie del’ arte italienne: « Jean-Baptiste réveille-toi ils ont fait de ton oeuvre vivante un pièce de musée« …

En écoutant Contrepoint de Godin, je me rends compte de la même chose: c’est sans doute parce qu’on aborde l’oeuvre des compositeurs classiques par l’angle du classicisme qu’ils perdent leur ancrage populaire et finissent par saouler les enfants du XXe siècle dans mon (sale) genre.

Au delà du côté informatif du disque du plus si jeune Nicolas Godin, contrepoint est un disque de dimanche. Apaisé. Classe sans être borrrrrring. Il s’accommode parfaitement d’une lecture des cahiers du cinéma ou des Inrockuptibles pour entretenir son amour propre de mec qui aimerait qu’on se rappelle qu’il est intellectuel. Mais sans la souffrance que cette pose implique parfois dans le choix des musiques. Contrepoint est un disque parfait. Lettré, réfléchi, il parvient à distiller une chaleureuse mélancolie, une indolence douce pour les jours tranquille. Et réussit à faire naître l’envie d’aller écouter ce « gimmick » ci ou cet autre chipé à Bach comme on volerait un sample sixties parce que franchement il m’a accroché l’oreille. C’était pas gagné. C’est le pari réussi de ce Contrepoint de Nicolas Godin.

3_5

Denis Verloes

Nicolas Godin – Contrepoint
Label: Because Music
Date de sortie: décembre 2015