Comme on pouvait le craindre, Skeleton Tree, le nouveau disque de Nick Cave avec ses Bad Seeds est une œuvre terrible. Du fond du gouffre, Nick Cave extrait le meilleur album de sa carrière. Une épreuve qui ne laissera personne indemne.
Chez Nick Cave, il y a eu plusieurs étapes dans cette longue carrière qui ressemble un peu à sa vie. Celle avec The Birthday Party où il répandait sa rage d’héroïnomane. Celle avec Mick Harvey puis Blixa Bargeld et Barry Adamson avec qui il commençait ses premiers pas au sein des Bad Seeds, quelque part du côté de ses icônes de toujours, Leonard Cohen, Johnny Cash et le chaos. Celle avec Warren Ellis, plus apaisée.
Mais chez Nick Cave, il y aura un avant et un après 14 juillet 2015, ce jour où Arthur, son fils, meurt des suites d’une chute accidentelle d’une falaise. Ce serait bien trop simple de dire que Skeleton Tree est un travail réactif à un tel événement ou une œuvre d’exorcisme. Cela ne ressemblerait pas à Nick Cave et nous n’aurons pas l’impudeur de par trop nous épancher sur le sujet. Pourtant, force est de reconnaître que tout le disque est habité par le désespoir et le manque.
Jamais un disque de Nick Cave n’aura autant mérité son nom que celui-là. Les huit titres qui le constituent sont comme autant de manifestes de ce Skeleton Tree. Des structures osseuses, minimales qui laissent peu de place au lyrisme que l’on rencontre habituellement chez l’australien. Des arrangements économes également mais indispensables de Warren Ellis à la fois effacé et omniprésent.
Ce qui est évident aussi, c’est ce refus de se laisser aller au chant mais plutôt d’accepter une parole lancée dans le froid d’une chambre vide. Paradoxalement, Nick Cave n’a jamais aussi bien chanté comme il le fait ici avec ses cassures et ses brisures qui effleurent à la bordure de nos frissons.
On pourra ici et là chercher des éléments aperçus sur d’autres disques du Bad Seeds en chef. On pensera en tête au Boatman’s call pour cette même désespérance. Sauf que l’album de 1997 peignait les contours d’un homme déchiré par le chagrin d’amour et qui s’en nourrissait à travers des chansons empathiques. Ici, l’homme est au sol, brisé. Pas d’empathie. La tristesse nue et l’impression de ne pas trouver de prise.
De l’introductif Jesus Alone glaçant et sans échappatoire à l’envie d’espace de Rings Of Saturn, c’est tout le désespoir d’un homme que l’on sonde.
Il faudrait être bien inhumain pour ne pas être saisi par Girl In Amber et sa sonnerie du téléphone qui ne cesse de résonner dans la pièce voisine et l’envie de ne plus être, de ne plus respirer.
Skeleton tree est un disque éprouvant qui laisse peu de place à la lumière mais aussi à un affect et une impudeur qui feraient tout déborder.
On a plus l’impression d’entendre un homme seul dans une pièce avec un magnétophone posé sur ses genoux, ses mots qui essaient de sortir, ces mots qu’il ne peut dire ou assumer. Prenez Anthrocene et son Gospel sans foi ou I Need You comme un aveu décharné.
Mais heureusement au milieu de Skeleton Tree, existe une large clairière. On y entend la beauté pure du chant de la Soprano Else Torp, membre du chœur Theater Of Voices de Paul Hillier. Cette merveille lumineuse s’appelle Distant Sky et rapproche plus encore Nick Cave de son aîné Leonard Cohen ou du Mark Kozelek de Ceiling Gazing (sur l’album avec Jimmy Lavalle de The Album Leaf). C’est comme une parenthèse, un temps d’apaisement au milieu de la noirceur. On sait que cela ne durera pas ce moment d’anesthésie de la souffrance quand on croit oublier.
Skeleton tree vient clore ce disque à la fois pas comme les autres pour Nick Cave mais en même temps plus classique et plus Pop que Push The Sky Away. Mais ici, les qualificatifs ont peu de raisons d’être car finalement ce qui se dégage de ces huit plages c’est l’image d’un homme qui lentement se reconstruit et s’interroge sur comment vivre après cela.
Un homme qui nous offre les quelques cendres, de ce qui reste de son ancien lui, de ce qui fût sa vie d’avant, d’ici à l’éternité.
Greg Bod
Nick Cave And The Bad Seeds – Skeleton Tree
Label : Bad Seeds Ltd
Sortie le 09 septembre 2016