Lou – Le Seul Moment

Il y a les musiques qui font sens et celles qui font chair, ces univers qui n’ont pas besoin de l’analyse ou du raisonnement pour entrer en total empathie. Il en est ainsi des disques de Lou et Le seul moment, quatrième jalon d’une œuvre entamée il y a 18 ans, est de cette même espèce, celle à l’humanité à la fois humble et débordante.

lou

Marguerite Duras parlait en ces termes de celui qui avait fait la musique d’un de ses films : « À vrai dire, je ne sais pas trop d’où il vient Carlos d’Alessio, on dit du pays argentin, mais lorsque j’ai entendu sa musique pour la première fois, j’ai vu qu’il venait du pays de partout, j’ai vu des frontières aplanies, des défenses disparues, la libre circulation des fleuves, de la musique, du désir et moi j’ai fait les images et les paroles en raison du blanc que je lui laissais pour sa musique à lui et je lui ai expliqué que ce film se passait dans un pays qui nous était inconnu, aussi bien à lui qu’à moi. Nous l’avons fait. Et de cette façon, la chose s’est faite, nous avons fait complètement ensemble, lui et moi, ce film du titre India Song. »

LOU - Le Seul Moment - VisuelPlus on écoute Le seul moment, 4e album de la trop rare Lou, plus on perçoit des affinités dans les suggestions sensuelles entre la dame et la musique de Carlos d’Alessio pour cette même aristocratie populaire, cette même distance raisonnable face au pathos. La musique de Lou, comme celle de l’argentin, est apatride. Comme celle du compositeur, elle chante les grands touts et les petits riens.

Entrer dans un disque de Lou, c’est se confronter au territoire de l’intime, se briser l’échine contre les mains fermées. Et puis chez la dame, tout est toujours un peu brumeux, flou, comme sans substance. Pourtant, on cherche les ports encerclés par les corps morts. Lou chante les étés tristes comme ceux de Mishima, les absurdes cruautés dans les non-dits. Comme le dit l’ami Guillaume Mazel en d’autres pages, c’est un album qui demande que l’on se taise car finalement Lou dit beaucoup avec peu. Ne venez pas chercher ici de discours formaliste ou de théorie alambiquée. C’est à vous d’aller chercher dans les points de suspension les interrogations rescapées.

L’orchestration est volontairement minimale, presque linéaire, syncopée par une omniprésente boite à rythmes. Lou stimule les limites et malaxe l’ennui et la monotonie pour illustrer le quotidien, le chagrin qui toujours revient. A l’image de Mark Linkous qui vantait la vie merveilleuse d’une voix malade, Lou caresse la mort pour mieux lui intimer de rester au plus loin. Elle est de celles qui peuvent craindre la vie comme l’ultime étape. La dame est de ces gens-là qui s’excusent d’être encore là.

Le seul moment est un disque économe, fragmenté, dénué du moindre effet, quelque chose de liquide, de circulaire comme en boucles. A  la fois simple et tortueux, aventureux et évident. On pensera parfois aux Haikus de son ami Pascal Bouaziz pour cette même voix blanche qui paradoxalement traduit avec une justesse infinie la plus petite émotion. Autre proximité avec le disque solo du chanteur de Mendelson, cette volonté de concision qui donne tous leurs sens à chaque mot mais qui laisse aussi un caractère allusif puissant aux images de barque et de houle.

Une écoute trop rapide ne permettra pas de percevoir toute la menace latente mais aussi de pouvoir régler les comptes d’un tribut à payer pour un deuil trop douloureux. Lou est tout au long du Le seul moment totalement bouleversante sans pour autant jamais nous infliger une pose de Mater Dolorosa. Elle chante l’absolu nécessité de passer à l’après, de vivre avec l’avant, de savoir que rien n’est plus vif que cette fin sans fin.
Lou chante les ombres des coins de pièces trop blanches, les petits secrets enfouis, les mots du dedans qui ne parviennent à sortir.
Le seul moment, c’est cet instant par lequel on passe tous où l’on met ce que l’on a vécu dans la balance, le bon , le mauvais mais aussi le trivial. Une étape à la fois douloureuse mais vitale. Ces seuls moments où l’on se sent entier et complet.

Valérie Leulliot chantait il y a quelques années « c’est en haut des  falaises que l’on se sent vivant ». Lou dit finalement à peu de choses près la même chose, c’est au plus prés du néant que l’on se sent complet. Pour autant, il ne faut pas se laisser trop point attirer par le gouffre et poursuivre encore et toujours son chemin. Lou l’a compris et Le seul Moment est le plus beau des témoignages d’une reconstruction après la vision de la destruction. Un immense disque d’une grand dame bien trop discrète.

Greg Bod

Lou – Le Seul Moment
Label : ADCA/L’autre distribution
Sortie le : 10 novembre 2017

Crédits Photo : Nicolas Comment