A la manière de Matthieu Malon

L’origine d’un disque peut avoir mille raisons, mille envies d’être. Pour Désamour, le nouvel album de Matthieu Malon sorti à l’automne dernier, il est né de l’envie de faire des chansons à la manière de…


Photo : Jerome Sevrette

Désamour est sorti à l’automne dernier, autant dire une éternité en temps éditorial de webzine mais honnêtement, pour rendre justice à ce disque, il fallait se donner une durée de digestion qui n’a que faire des jeux du temps d’où cette chronique peut-être tardive. On connaît depuis longtemps cette volonté défricheuse chez Matthieu Malon, cette envie d’aller puiser dans tous les courants musicaux une forme d’inspiration à ses lignes mélodiques. Que cela soit avec laudanum , en presque solitaire avec son projet sous son seul nom ou avec ses autres projets (Breaking The Wave, Brûlure avec la star de Facebook Rita Zaraï), le monsieur est aussi insaisissable qu’il est curieux. Avec Désamour, il signe sans aucun doute son oeuvre la plus personnelle, celle d’un homme qui entre en quarantaine mais qui nous raconte aussi la lente dislocation d’un couple et le travail de réapprentissage de la vie.

Vous qui ouvrez Désamour pour la première fois, ne soyez pas surpris, vous ne vous êtes pas trompé de disque. Votre Cd de Pornography est bien rangé à la lettre C de votre quatrième colonne de bois branlante car disons le tout net, l’ambiance est clairement Curesque tout au long de ce disque et ce ne sera pas Ouverture avec ses accents si proches du dernier titre de l’album noir et rouge de Robert Smith qui viendra contredire cette impression.

 

Il n’y a rien d’insultant à le dire ainsi. Matthieu Malon n’est en aucun cas en panne d’inspiration. Depuis toujours, il avait ce vieux rêve de musicien et de fan, celui de faire un album « à la manière de ». Au moment où il se penche sur les mots écrits, cette disparition d’un amour, il commence à réfléchir à l’ambiance, à la climatique musicale qu’il souhaite poser en arrière de ses mots, comme un contrepoint, une mise à distance d’un trop plein de pathos. Qu’y a-t-il de plus romantique que la Cold Wave des années 80 et cette oeuvre (la plus incisive) de Robert Smith qu’est Pornography ? Après quelques recherches sur le matériel employé et l’acquisition d’une Basse VI (à l’origine de ce son si singulier), Matthieu Malon se confronte à lui-même, l’épreuve est difficile comme pour lui comme pour son auditeur, entre autoflagellation, regrets et remords.Regrets de ce que l’on a mal dit, de ce que l’on a trop dit, de ce que l’on n’a pas dit. Remords de ce que l’on est, de ce que l’on n’est plus et de ce que l’on ne sera jamais.

Sa sensibilité, son histoire de vie, ses échecs et son passé

La grande force de Désamour c’est de n’être jamais seulement un disque à la manière de, un exercice de style un peu vain ou un relecture trop respectueuse et sentencieuse d’un grand monument. Désamour, c’est avant tout la rencontre d’un être avec ses quatre dimensions : Sa sensibilité, son histoire de vie, ses échecs et son passé. Désamour n’est jamais seulement un geste mélancolique à une adolescence disparue ni à ses espoirs de jeunesse éternelle. Comme toute réinterprétation d’un mythe, celle-ci se nourrit de son temps présent, de sa pertinence au jour d’aujourd’hui. Désamour a cette rage d’ici et maintenant, jamais un hurlement mais plus non plus un murmure. Des mots secs, nets et précis mais en même temps naïfs et cliniques. Du cynisme shoegaze de Dégage aux références à Dinosaur Junior de La Syncope, Matthieu Malon multiplie les clins d’œil comme pour mieux les annuler. 1+1= 0 chez lui.

« Waiting
For the telephone to ring
And I’m wondering
Where she’s been
And I’m crying
For yesterday
And the tap drips
Drip drip drip drip drip drip drip drip »

Fugue sonne comme le Ian Curtis de Twenty Four Hours qui  reviendrait des limbes avec le Peter Hook de New Order période Power Confusion & Lies, c’est glaçant, froid comme un téléphone qui reste muet en pleine nuit. Le son est lourd tout au long de ce disque, presque Doom, proche des Swans ou de Nine Inch Nails. Matthieu Malon privilégie plutôt un chanter-parler comme une autre proposition face à celui des camarades de désespoir Michel Cloup et Pascal Bouaziz. On n’est jamais très loin du grand malaise, pas celui lié à un sentiment de voyeurisme face à quelque chose qui ne nous appartient pas, c’est peut-être même précisément l’inverse. Désamour nous renvoie à nous, à ce « je » que l’on a un peu perdu de vue  pour ne pas dire négligé. C’est pas facile de se voir dans un miroir et d’y croiser nos petites lâchetés et nos merdes intimes.

On aurait pu craindre un disque monomaniaque de passionné de musique, un album à la technique impeccable et à la connaissance livresque du répertoire des Cure. Fort heureusement, Matthieu Malon prend quelques libertés presqu’ironiques avec son concept de base. Prenez La Coureuse, belle respiration Pop qui évite le côté affligé et misérabiliste. Comme quoi on peut parler du mal de soi avec une énergie déconcertante à l’image de Joe Pernice qui disait dans Everyone Else Is Evolving avec son projet annexe Chappaquiddick Skyline son dégoût de la vie avec une douceur paradoxale. On peut haïr sa vie mais continuer quand même car le choix n’est pas de circonstance.

Le titre qui donne son nom au disque part un peu sur les terres d’un Rock Noise des années 90 quand Et ce T-Shirt de Sonic Youth hésite entre anecdote personnelle et harmonies smithiennes, Morrissey et Johnny Marr bien sûr. Un essai gratuit rappelle le meilleur de Diabologum avec des relents de Desintegration. Aussi étrange que cela puisse paraître, alors qu’il signe un disque à la manière de, Matthieu Malon signe sans aucun doute son disque le plus personnel. Bien qu’encombrant volontairement son propos de références, Matthieu Malon fait un disque à la manière de Matthieu Malon, le geste d’un homme vivant et bien là, celui d’un être qui se relève et regarde devant, tout là-bas la vie qui l’attend.

Retrouvez également mon interview de Matthieu Malon sur le site de Magic RPM

Greg Bod

Matthieu Malon – Désamour
Label : Monopsone
Sortie le 20 octobre 2017