Black Sabbath – Sabbath Bloody Sabbath : Un éclat de Metal

Le Sabbath est en crise juste après le Vol 4. L’inspiration s’est fait la malle et la coke est train de leur bousiller le ciboulot bien tranquillement. La Californie n’a plus rien à offrir aux Anglais. Retour au bercail ! C’est dans un château – hanté ?! – que le groupe va ressusciter et livrer un morceau d’anthologie du Metal qui restera source d’inspiration pour les générations à venir.

Sabbath Bloody Sabbath

Le Vol 4 des aventures de Black Sabbath vient à peine de paraître, que nos quatre amis ont juste le temps de sortir le nez de leur saladier de Coke trônant sur la table du salon de la somptueuse villa de Bel Air, pour le foutre dans celui qui les attend dans les loges de la tournée mondiale dudit album.
Une tournée de plusieurs mois où les organismes déjà affaiblis par la pression et la fatigue s’étiolent de plus en plus, petit à petit, au fil de ces rails de coke sniffés sur des miroirs de fortune ou sur les fesses blafardes de quelques groupies peu farouches.

La tournée mondiale 1972-73 s’achève enfin et laisse les Anglais sur les rotules et les narines en feu. La consommation de cocaïne est frénétique, sans limites.

Les joues se creusent irrémédiablement, les pupilles se dilatent bien trop souvent et altèrent la vision, le surhomme immortel que la coke fabrique de toutes pièces redevient cette silhouette décharnée qui te fixe dans le miroir quand la poudre magique cesse son envoûtement : Tony Iommi s’effondre en plein concert au Hollywood Bowl.

Le Sab décide de couper le moteur durant quelques semaines. En effet, le truck Black Sabbath tourne à plein régime depuis 1969 mais le carburant s’amenuise et le moteur accepte de moins en moins les huiles de synthèse. Nos quatre amis se séparent un temps pour se ressourcer et tapent dorénavant leur rail de coke en solitaire.
Durant ces quelques semaines en tête à tête avec leurs addictions mortifères, c’est Iommi, seul, dans ses pompes avec sa dose de coke comme unique remède, les yeux dans les yeux avec sa Gibson SG, c’est d’abord lui, le patron, qui va sombrer doucement dans cette dépendance nocive et tétanisante.
Le « Riffmaster » a perdu son mojo. Plus rien ne sort de ses doigts mutilés, le boss est vidé. Il faut réagir et au plus vite.

Les quatre de Birmingham décident alors de réitérer l’expérience d’émulation cocaïnée du Vol 4. Ils retournent dans la villa de Bel Air en Californie tremper leur cul palot de British dans la piscine aux reflets cristallins, tremper leur gros pif rougi par les excès dans les saladiers de coke en cristal et enfin tremper leur machin à moitié-mou dans quelques groupies flasques et semis-vérolées.

Tous les éléments sont en place et pourtant rien ne se passe. La substantifique moelle Rock reste bien calée au fond des calbars et rien n’y fait. Le Sab Bande mou et s’enferme dans son impuissance. Le vent chaud de Californie a asséché les esprits et tarit les créativités. Il faut changer d’air. Et vite !

Après un mois à s’enquiller bouteilles de Jack sur bouteilles de Jack, rail de C sur rail de C et semi-putes sur semi-putes, tentant désespérément de retrouver un semblant d’inspiration, une once de vitalité créative, la cité des anges n’a plus rien à offrir au Sabbath.
Toute la folie, le luxe, la superficialité érigée comme mode de vie, toutes ces fêtes tapageuses, cette cocaïne en vente libre; toute cette excessivité a nourri le Vol 4 ne laissant pour la suite que les traces farineuses sur des miroirs de poches ébréchés et rien d’autre.
Ce qui a été, n’est plus et ne peut plus être. L’époque du Vol 4 est révolue. La découverte euphorisante de la cocaïne et son bouillonnement créatif n’est plus qu’un souvenir heureux dans le nouveau monde de l’addiction malsaine et mortifère qui est dorénavant le quotidien de Black Sabbath.
Allez, retour au pays ! Clearwell Castle dans le Gloucestershire plus précisément. Un château mythique pour le Rock (Led Zeppelin, Deep Purple , Badfinger, Mott the Hoople ou Bad Company sont venus y répéter ou enregistrer ). Un manoir néo-gothique paumé en pleine forêt de Dean où le Sab décide de poser ses valoches pour tenter de titiller les muses qui les fuient depuis quelques mois.

C’est dans cette ambiance médiévale, dans ces couloirs lugubres et ces pièces immenses aux tapisseries usées, dans cette anti-thèse absolue de la villa luxuriante de Bel Air que les Anglais viennent chercher l’inspiration.

Black Sabbath est bien décidé à aller soulever le draps blanc des fantômes ancestraux pour retrouver leur inspiration perdue, aller croquer à pleine dents dans les veines du Rock et faire jaillir le Metal brulant.
Les Anglais prennent doucement possession des lieux, ils enchainent les répets, jamment sur des boeufs nocturnes interminables et croisent même la dame blanche dans les couloirs du manoir (« …and one night I was walking down the corridor with Ozzy and we saw this figure in a black cloak . » dixit Tony Iommi).
C’est d’ailleurs un soir où le groupe travaillait dans le donjon du château que Iommi, comme par enchantement, tomba sur le riff dantesque et lourd comme la paire de loches de Sara Stone, de ce qui deviendra le premier morceau du nouvel album: Sabbath Bloody Sabbath.

Ça y est ! La motivation est revenue avec fracas dans le slibard des quatre de Birmingham. Le château hanté perdu en plein Gloucestershire a remis le surnaturel, l’épouvante au coeur du Sab. Les muses se sont parées de noir et sont venus, à l’instar des succubes et autres diablotins de la pochette, tourmenter le groupe et infuser un peu de fantasmagorie gothique à ce Metal ressuscitant.
Le retour aux sources, cette immersion durant quelques semaines dans ce manoir de Clearwell Castle, dans cette atmosphère Néo-Gothique très Européenne au final, a réinjecter dans le logiciel Sabbath l’inspiration qui semblait leur avoir été dérobé.
Les quelques pistes grossièrement défrichées sur le Vol 4 sont ici plus précisément explorées. On a parlé de Rock Prog’, de Metal Progressif, pour ce cinquième opus du groupe. Le terme semble un peu exagéré, mais il vrai que le groupe offre sur cet album une amplitude inédite, une complexité structurelle nouvelle et une recherche instrumentale hors des sentiers déjà balisés du genre Metal.

Les réussites sont nombreuses et viennent offrir leurs lettres de noblesse au groupe et au genre qu’ils ont inventé.
La réussite de cet album est également à mettre au crédit de Rick Wakeman du groupe Yes (qui enregistrait Tales from Topographic Oceans dans le studio juste à côté. Les célèbres Morgan studios où le Sab était venu finaliser le disque). L’homme vient apporter son talent, sa dextérité hors-pair de claviériste, sa connaissance de l’instrument, de ses nombreuses possibilités et par sa seule présence insuffler la brise Progressive qui caresse l’album.
Des morceaux comme A National Acrobat , son riff magique – soutenu par une autre guitare plus aiguë derrière (petit effet dont se souviendront Hetfield et Hammet dans les albums de Metallica) – et son final échevelé.
Sabbra Cadabra morceau de Rock épique où le piano de fin de Wakeman vient apporter des relents très Groovy et dont les effets de Phasing ( mixés par l’ingé son Tom Allom) parviennent à masquer les insultes d’un Ozzy en pleine montée de poudreuse.Tout n’est pas au même niveau d’excellence: L’instrumental Fluff et sa mélancolie un peu gnan-gnan ou Who Are You ? avec son ambiance de série B horrifique et ses nappes de synthé assez mal gérées cassent un peu le souffle épique de l’album. Cependant les faux-pas restent minimes et presque indécelables entre le monstrueux Killing Yourself to Live où la rythmique « Sabbathienne » – et la ligne de basse de Geezer Butler notamment, oscillant entre la lourdeur Metal obligatoire et une liberté, une légèreté d’exécution totalement Free– et la gratte magistrale du Riffmaster en font un Classique Rock instantané, et la monumentale pièce montée finale: Spiral Architect.
Un morceau d’Opéra-Rock perdu à la fin du disque. Le chef d’orchestre Will Malone embarque ses flûtistes, ses organistes, ses violonistes et déboule aux studios pour enregistrer leurs parties. Le chef d’orchestre se retrouve face à un Ozzy défoncé jusqu’au yeux, qui n’avait aucunes partoches, absolument rien d’écrit et se mit à lui fredonner la mélodie une binouze à la main. Et aussi bizarrement que cela puisse être, la chanson fut ! Une fin d’album pleine d’envolées lyriques et d’assemblages instrumentaux inédits qui ouvre – sous des faux applaudissements enregistrés – des perspectives inédites pour Black Sabbath et le Metal en général.

Le cinquième album est bouclé. Cinq albums en quatre ans. Cinq albums d’une qualité, d’une inventivité exceptionnelle.

Cinq albums qui mettront des beignes au Rock’n’Roll pour l’aider à sortir de sa torpeur post-Hippie et en profiteront pour inventer un genre qui aujourd’hui encore écrit certaines des plus belles pages du Rock.
Avec Sabbath Bloody Sabbath, les Anglais livrent sûrement le dernier grand album du groupe – avec quelques belles réussites à venir tout de même – et s’attirent – enfin ! – les faveurs et les éloges de la critique musicale. Cette critique Rock qui leur a toujours préféré les miaulements « Zeppeliniens », cette noblesse Hard Rock accordée au Zeppelin tandis que le Sabbath n’avaient droit qu’aux moqueries sur ce Metal de prolos buveurs de bière.
Le Sab dans un dernier effort, parvient à dépasser ses nombreuses addictions qui leur coupent les jambes et leur plombent le moral, pour livrer la dernière grande oeuvre de leur première partie de carrière.
La drogue n’a pas quitté les vilaines habitudes du Sab, bien au contraire. Mais là où la cocaïne débordait du Vol 4 et « hystérisait » le disque, le groupe semble avoir digéré cette excitation « cocaïneé » et réussit à canaliser cette énergie électrique, cette créativité ressuscitée en offrant un album parfaitement accompli et laissant aux générations futures ( Metallica, Dream Theater, Iron Maiden ou Mastodon…) de nombreuses pistes de réflexions pour l’évolution du genre.

Black Sabbath s’est retrouvé sur cet album, a renoué avec ses racines Rock. Mais le groupe devient trop lourd, trop imposant et les soudures qu’ils vient à peine de refaire s’avèrent trop fragiles pour supporter le poids de ces égos en pleine overdose.

Les liens cèdent. La chute sera inévitable.

Renaud ZBN

Sabbath Bloody Sabbath est sorti le 1er décembre 1973 sur le label WWA Records