Les fragments d’une saison de Sol Seppy

Certains d’entre vous n’ont pas conscience de la chance qu’ils ont en découvrant avec retard l’univers somptueux et subtile de l’anglaise Sophia Michalitsianos alias Sol Seppy  avec IAAYA (I Am As You Are), ce nouvel album miraculeux.

Crédit Photo : Jon Frank

La beauté à l’état pur se refuse à toute forme d’explication ou d’analyse car le moindre frottement, le plus petit frôlement pourrait en perturber l’équilibre fragile. La musique de Sophia Michalitsianos alias Sol Seppy  joue avec les paradoxes. A la fois diaphanes et hautement singulières, les mélodies de Sol Seppy ne plongent jamais totalement dans l’éther ou le coton. Pas si éloignée que cela dans la démarche de celle de Liz Harris de Grouper, Sophia Michalitsianos fait des va et viens entre des constructions proches du classique d’une école symboliste et des épures qui ne rebuteraient pas Laurie Anderson, Anne Clark ou Virginia Astley.

IAAYA, ce troisième disque de l’anglaise est dans la prolongation des deux suivants mais peut-être en est-il un aboutissement, une forme de perfection atteinte comme on en voit rarement ? En terme de raffinement, en terme de délices clairs-obscurs, on ne pourra citer que Stina Nordenstam pour essayer de donner une idée du niveau du frisson que vous ressentirez à l’écoute de ces comptines accidentées et frelatées par une mélancolie pernicieuse qui s’infiltre au creux de la peau.

Dans un monde idéal où Les désespérés de Jacques Brel seraient les héros de notre société, Sophia Michalitsianos serait la matrice de toutes les femmes, la sainte trinité de Baudelaire, la femme, la sœur et l’amante. Mais nous ne ne sommes pas dans un monde idéal malheureusement, loin s’en faut. Et Sol Seppy n’est connue que d’une poignée d’entre nous. Pourtant, pour les autres et peut-être vous, sans le savoir, vous connaissez déjà cette musicienne anglaise de formation classique dont le piano est l’instrument de prédilection (cela s’entend encore ici).

Sophia Michalitsianos a été une collaboratrice fidèle de Mark Linkous de Sparklehorse avec qui elle partageait un goût pour les sons lancinants imprégnés d’une dramaturgie du détail.Aux côtés d’Adam Wiltzie de Stars Of The Lid, elle entoura sur scène et en studio l’auteur  d’It’s A Wonderful Life. On jurerait entendre dans la torpeur ambiante, des réminiscences traduites sur un clavier à 88 touches de la musique des auteurs de And Their Refinement of the Decline.

Les grandes émotions musicales naissent souvent d’une forme de neutralité, d »extinction du pathos, de total dénuement, de la volonté de mettre bas les masques. Sophia Michalitsianos, avec ce disque ni triste ni gai (quelle vision réductrice d’un instant) , nous bouleverse à chaque titre. Se refusant à un manichéisme trop facile, elle ne fait jamais le tri entre la noirceur et la lumière et met de la couleur dans des esquisses cendrées, un peu d’eau dans des aquarelles ni vraiment estompées ni totalement effacées. Mark en ouverture pose la scène avec sa mélodie tremblante et minimaliste avec une dérive progressive vers un ailleurs indéfini (de ceux que l’on aime chez Julianna Barwick) tandis que Said Cat To A Phoenix voit l’anglaise se métamorphoser en conteuse d’une berceuse tendre.

Music avait annoncé le disque il y a déjà quelques années, provoquant une impatience non feinte chez ceux qui avaient entendu cette longue complainte déchirante.Les auditeurs trop hâtifs entendront peut-être un disque par trop linéaire mais il ne faut jamais se fier à une première impression. Finalement chacun de ces neufs titres sont comme autant de subtiles nuances d’un état d’âme… Vous savez, cette pensée fébrile et fugitive, cette humeur vagabonde qui prend la tangente, pleine d’espoir et qui revient sombre et lasse pour mieux se régénérer . IAAYA est une collection de fragments d’une saison de pluie..Part Of en serait la brume qui monte tandis que Meeting Is (Belle photographie instrumentale que ne renierait pas Volker Bertelmann de Hauschka) s’approcherait d’une bruine glaciale.

T’s Prayer c’est un peu ces traits de lumière que l’on devine dans une pluie d’été qui n’annonce ni le beau temps ni une accalmie mais plutôt le jeu d’une poésie du hasard. Live In Me ranime la modestie d’un chant gracile entre lieder désuet et échos de Molly Drake. Mercy bifurque vers une piste plus acoustique et  un psychédélisme folk doux à la Vashti Bunyan. Into View, en conclusion, est le genre de titre qui ressemble en tout point à une forme d’hésitation, de réticence à vouloir nous quitter… Du moins avant de nous avoir brisé le cœur… Que Sol Seppy soit rassurée, nos cœurs sont brisés  mais heureux. En introduction, je tenais cette allégation que la beauté pure se refuse à toute forme d’explication, la beauté supérieure, elle, nous incite à l’interrogation. IAAYA  est un disque éminemment précieux, un des immenses disques (discrets sans doute) de cette année 2019.

Un grand merci à Seb Gobi qui comprendra et se reconnaîtra.

Greg Bod

Sol Seppy – IAAYA
Sortie le 02/01/2019
Label : Autoproduction

Pour se procurer IAAYA, une seule adresse, le site de Sol Seppy.

https://youtu.be/EIj-DgbwWuQ