Kidding : une des séries les plus barrées et attachantes du moment

Qu’une série mette Jim Carrey au générique et tu as, lecteur, des images d’un trublion sautillant en totale roue libre façon Saturday night live. La production le sait. Et se joue de tes attentes dans la série, sans doute la plus folle du moment.

Kidding-illustration
©Erica Parise / Showtime

Les séries s’enchaînent désormais à la vitesse de l’éclair, produit d’appel majeur pour les plateformes de vidéo à la demande en quête de différenciation et de nos quelques deniers mensuels. Elle en a fait du chemin la série à la papa, depuis les expérimentations narratives de Steven Bochco dans NYPD blue, jusqu’au triomphe d’une méthodologie qui a tenu 8 saisons durant, les fans d’Heroic fantasy en haleine avec Game of thrones.

Kidding-afficheIl y a de nouveaux codes dans les séries à la sauce 2019: on peut tuer un héros principal en milieu de saison, on peut poser des climax narratifs qui ne soient pas les cliffhangers, on se doit de faire évoluer les personnages en age et… Finalement, quel que soit l’univers d’une série, je me surprends souvent à les classer en série à la 24, série à la GOT, série à la the Wire…. Et avec deux heures de train quotidien, je peux vous assurer que j’en bouffe, de ce format idéal pour ce genre de transhumances.

Au rayon des objets filmiques non précisément identifiables, on trouve depuis septembre 2018 en France (chez Canal+ series) le série de Dave Holstein (Weeds) : kidding

Le pitch est un peu étrange, mais simple: un présentateur télé, star d’une émission pour enfants, vit une vie américaine moyenne sans vague, sans questionnement, la partie “business” de son émission étant gérée par un père calculateur. Mr Pickles, incarné par Jim Carrey affublé des cheveux mi long comme on croyait ne plus jamais en voir depuis les années 90, est le présentateur vedette de l’émission qui ressemble beaucoup à Yo Gaba gaba -tu as des enfants? Tu dois connaître – ou Lolipop – bon ça il faut être belge et avoir vécu dans les années 80 pour savoir que Philippe Geluck n’a pas toujours été ce vieux dessinateur un peu trop sage. Il y dialogue avec des marionnettes dans un univers de village de conte de fées. Il distille dans son émission des messages moralisateurs, mais positifs qui rassurent les parents et, parce qu’il les incarne et lui font jouir, dans la vraie vie , d’une sympathie évidente de la part d’un public qui dépasse largement les enfants. Mr Pickles est à l’image de son personnage de télévision. Jusqu’au jour où la mort (je ne spoile qu’à peine, c’est dans les premières minutes de la série) vient le priver d’un de ses fils, dans des circonstances réellement injustes. A partir de cet élément déclencheur, Pickles / Carrey porte en lui une fêlure existentielle qui rend la tagline commerciale “Mr Pickles est un homme gentil , souriant, terre à terre et positif à la ville comme à la scène” impossible à assumer totalement. La saison 1 de la série réalisée par Michel Gondry explore les mécanismes qui transforment cette blessure initiale, en fissure, craquelure, cratère, glissement de terrain au fil des 10 épisodes d’une trentaine de minutes.

Les grosses ficelles

Je ne saurais trop conseiller que d’éviter le binge watching de cette série. Découverte lors de sa diffusion en septembre, c’est réellement la semaine d’attente entre deux épisodes qui m’a fait éviter l’écueil d’y repérer ce que j’ai lu dans certaines critiques parfois mitigées sur d’autres sites. Il y en a deux que je reprends à mon compte et cautionne totalement. Si j’avais avalé à la suite les 10 épisodes de Kidding, sans me laisser le temps de laisser Pickles vivre sa vie dans ma mémoire hebdomadaire, j’aurais sans doute trépigné bien plus de cette longue attente créée par Holstein / Gondry. Depuis l’épisode 1 on sait, on veut, on redoute le moment où le vernis ayant craqué, Pickles va exploser. La paire producteur / réal maintiennent la cocotte minute en pression, et chaque semaine tu trépignes, tu insultes Carrey, tu te demandes comment toi tu réagirais en pareille situation, dans pareil cas de figure énoncé à l’écran. En binge watch, je pense que les ficelles de cette montée en pression sont complexes à soutenir. En patientant une semaine, la pression de l’attente s’amenuise.

La deuxième critique que je reprends à mon compte est celle “des bons sentiments”. Même si elle démontre que la plupart des critiques des médias installés, sommés de faire rapidement du clic pour le référencement du magazine sur le net, démontre que ses papiers ont été écrits sur base des quatre épisode envoyés à la presse, sans y revenir par la suite.

Effectivement les premiers épisodes sont bourrés de bonnes intentions. Difficile de ne rien spoiler, et je t’en préserve, lecteur, mais je peux te dire que cette débauche de moments où dans la série tu te dis : “non mais arrête il va quand même pas accepter ça…” sont en fait des moyens d’augmenter ce qui se révèle petit à petit comme des ingrédients de la montée en pression du héros. Si tu as abandonné Treme au bout dfe 5 épisodes en disant à tes potes: “mais il se passe rien dans cette série”; il y a de fortes chances par contre, que Kidding ne soit pas pour toi

La réalisation

Depuis le génial Eternal sunshine of a spotless mind, qui d’ailleurs marque aussi la précédente collaboration Carrey / Gondry, je n’ai pas trop accroché au cinéma du clippeur génial. Je lui reproche une débauche de moyens oniriques faciles pour faire pression sur le spectateur. Genre t’as vu t’as vu t’as vu où je veux en venir? Ce qui rend par exemple pour moi très pénible le visionnage de l’Ecume des jours. A force de guider le spectateur, Gondry le cinéaste laisse finalement peu de place à l’interprétation personnelle de celui qui regarde, (ou pire de celui qui a écrit le livre).

En étant forcé de laisser une place, énorme, à l’interprétation de Jim Carrey, et de diluer ses envies esthétiques au fil des 10 épisodes, Michel Gondry trouve ici un somptueux équilibre: la mise en scène est barrée, la gestion des décors appuie sur le sentiment de fissure, les mouvements de caméra doivent autant à l’esprit “jardin d’enfant” promu par l’émission jeunesse du héros, que des mauvais rêves sous héroïne des héros de Dany Boyle dans Trainspotting. On navigue continuellement sur une passerelle étroite entre code de la télé pour enfant et psychopathie, avec une maestria d’équilibriste, qui techniquement est une prouesse regardable indépendamment du fait qu’on aime ou non la série.

Jim Carrey : magistral

De Jim Carrey on sait depuis longtemps qu’il est capable d’osciller entre l’exagération pitre de The Mask et Andy Kaufmann du The man on the moon. On croit savoir que l’acteur a ces dernières années beaucoup remis en question sa carrière récente et les rôles qu’il propose. Servi par l’écrin filmique de Gondry et par un scénario qui lui permet d’explorer à la fois des facettes touchantes ou psychopathes de son jeu d’acteur, voire les deux en même temps avec pour corollaire de faire rire et pleurer le spectateur dans la même scène Mr Pickles est un rôle écrit pour lui.

A tel point que Madame Pickles (Judy Greer : Ant-man, la planète des singes), le fils Pickles (Cole Allen, somptueux je m’en foutiste dans un premier rôle), le père Pickles (Frank Langella, Wall Street, the americans), la soeur Pickles (Catherine Keener, dans la peau de John Malkovitch, Into the wild), semblent escamotés. Et pourtant la grande force du scénario est de donner à chacun de ces seconds rôle un historique, une raison d’être, une difficulté spécifique à exister dans le monde sous pression de Kidding. Mais Carrey emporte tout sur son passage. Sans en faire trop (sauf dans les passages où il endosse pour la télé son personnage de gentil Pickles), parfaitement versé dans l’art de nous faire demander si son héros est fou ou si c’est lui qui l’est, sa seule présence peut tenir en haleine n’importe quel spectateur au fil des 300 minutes de la saison 1. Somptueux.

Je me demande s’il va faire moisson de prix en saison deux, n’ayant raflé ni le Golden Globe de la meilleure série comique (wait whaaat comique?) ni meilleur acteur dans une série comique (*facepalm*)

J’adore cette série, parce qu’elle ne s’inscrit dans aucun des codes standards actuels qui font les mécanismes d’évolution d’un fil narratif télé. On n’est jamais vraiment dans une série drôle, même si la folie de Carrey fait vraiment sourire. Souvent, on se dit: ouaw là Gondry il a assuré pour appuyer sur tel sentiment, faisant de la réalisation un acteur à part entière du dénouement de la saison: la réalisation semble accentuer le sentiment de malaise croissant qui croît au fil des épisodes.

Même le final (que je ne te dévoile pas ici) est emprunt des habitudes du cliffhanger pourtant sooooo has been depuis des années en série. Véritable objet série-phile non identifiable, kidding ne tient ni uniquement sur une bonne histoire, ni sur un jeu d’acteur somptueux, ni sur une méthode de cinéma onirique éprouvée, ni sur des seconds rôles savoureux… Mais exactement sur le subtil mélange entre chacun de ces ingrédients. Assurément une des séries les plus déroutantes de 2018/2019

Et vous savez- quoi? Canal promeut d’ors et déjà le trailer de la saison 2. chic. [Ne clique pas sur play si, petit lapin, tu ne veux pas te faire divulgâcher très fort ]

Denis Verloes

Kidding : Saison 1
Série américaine de Dave Holstein, réalisée par Michel Gondry
Avec  Jim Carrey, Judy Greer, Cole Allen, Frank Langella, Catherine Keener…
Genre : Comédie
10 épisodes de 30 minutes environ
Mis en ligne en octobre 2018 (et saison 2 en suivi US) et disponible en coffret DVD depuis le 2 octobre 2019
Diffusion France : Canal+