Cathédrale, de Cardon : l’œuvre d’une vie au service de la justice sociale

Tels les anciens maîtres artisans, Cardon nous livre son chef d’œuvre, un travail fascinant, autobiographique et allégorique, sur les grandes étapes de sa vie, de sa plus tendre – et pas si tendre – enfance jusqu’à aujourd’hui.

Cathédrale — Jacques-Armand Cardon
© Le Monte En l’Air/Super Loto Éditions

Afin de nous faciliter la lecture, l’album débute par son récit de la guerre. Fils d’un ouvrier voilier, Jacques-Armand Cardon est né en 1936 au Havre. Sous l’Occupation, sa famille est évacuée en Normandie. Prisonnier en Allemagne, son père est tué par un bombardement allié. Sa tante, une femme forte, le conduit au pied d’un résistant pendu, puis au chevet un jeune homme torturé. Soumis au même traitement par son père, Agrippa d’Aubigné développera une soif jamais assouvie de vengeance. Plus sage, Cardon fera du dessin politique.

À travers ses dessins muets et ténébreux, l’ancien ouvrier des arsenaux porte un regard sans complaisance sur la noirceur du monde. Depuis plus de 40 ans, ses caricatures illustrent Le Canard Enchaîné. Souvenez-vous, de solides silhouettes masculines, vues de trois-quarts arrière et traitées à la plume. En cachant le visage des hommes politiques, il permet aux lecteurs de les observer commenter, entre eux, ce qu’ils voient, dévoilant leur cynisme.

Cathédrale — Jacques-Armand CardonLe scénario de Cathédrale reprend les étapes de sa vie. Au retour d’exode, l’orphelin découvre, fasciné, Notre-Dame de Paris. Par son gigantisme froid et sa démesure minérale, le monument célèbre plus la puissance de la foi des anciens et le génie du labeur ouvrier, que la gloire de Dieu. Cardon estime qu’il : « faut essayer de compenser l’absence et l’intranquilité permanente par un surcroît d’imaginaire. » Alors, sa cathédrale se fait titanesque. Sombre et polymorphe, elle se mue ici en blockhaus de l’arsenal où, jeune apprenti, il a découvert la vie ouvrière. Plus loin, je retrouve, en plus sobre, La Tour de François Schuiten. Son héros croise les Pieds Nickelés, Agnès Varda, Guillaume Apollinaire et Charlie Chaplin. Le visiteur déambule dans les souvenirs de l’auteur, des réminiscences intimes, mais aussi historiques. Voici Hitler, Pétain et Staline. Le voyage se fait onirique, les scènes autorisent de multiples interprétations et leurs sens varient au fil des relectures. J’ai cru reconnaître François Hollande et Donald Trump. J’ai pleuré sur les fusillés de la Commune et apprécié le geste de Jésus.

Le dessin est austère et le travail colossal. Combien d’heures, de jours et de mois à tracer ces verticales ombrées ? Cardon n’a pas choisi la facilité. Le bel ouvrage est patient. Son trait évoque le geste du mécanicien limant une pièce de métal. Cardon possède plusieurs cordes à son arc. Il manie aussi bien l’humour noir d’un Claude Serre, que la poésie fantastique et absurde d’un Jean Gourmelin. Il a lu et relu le Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. S’il admire le chef d’œuvre, il déplore le rôle offert à l’Ananké, cette personnification de la destinée et du fatalisme. Car, le mal n’est ni extérieur, ni divin : il est humain, rien qu’humain.

Stéphane de Boysson

Cathédrale
Scénario et dessin : Jacques-Armand Cardon
Éditeur : coédition Le Monte-en-l’air / Super Loto Éditions
160 pages en noir et blanc – 30 €
Parution : 8 octobre 2020

Cathédrale – Extrait :

Cathédrale — Jacques-Armand Cardon
© Le Monte En l’Air/Super Loto Éditions