Avec ce quatrième tome, Sansuke Yamada traite un sujet tabou : comment réapprendre à vivre avec la honte d’être revenu vivant d’une guerre lointaine, dans un Tokyo dévasté où la souffrance est pire que la sienne…
Jadis, Kadomatsu était un voyou, illettré et bon vivant. L’armée l’a appelé, pour une sale guerre lointaine. Sur ordre, ils ont été contraints de tuer. Seul survivant de sa section, il a sauvé Toku. Grièvement blessé, son chef a survécu, mais il est resté brisé et mutique. Bâtie en bois, la ville de Tokyo a été méthodiquement et scientifiquement brûlée par l’US Air Force. Tout a disparu. Effarés, à leur retour, Kadomatsu et Toku ont découvert que les souffrances des civils tokyoïtes surpassaient les leurs. Alors, ils se taisent.
La petite cantine de Toku rapporte assez pour les nourrir, eux et leurs protégés. Le temps a fait son effet. Timidement, la vie tente de reprendre son cours. Parmi les survivants, des couples se forment, des familles se recomposent. L’instinct de vie est fort.
Si le dessin ne brille pas par son originalité, Sansuke Yamada reprend les codes habituels du manga, le court passage sur l’incendie de Tokyo est impressionnant, l’horreur y est palpable. Arrêtez-vous un instant sur les corps calcinés. Sengo n’est pas un album comique. Pour ce quatrième tome d’une série de sept, le scénariste développe habilement son histoire et nous plonge dans le passé. Toku se retrouve soudain nez-à-nez avec la femme de son frère aîné, un frère aimé et tué au début du conflit. Il renoue avec un père qu’il s’était acharné à oublier. Belliciste et impérialiste, le patriarche les avait élevés pour en faire des guerriers. Toku n’a rien oublié, ni pardonné. Le voilà contraint à s’expliquer, à raconter. La parole le libérera-t-il ?
Le très pragmatique Kadomatsu ne voit qu’une solution à la crise, emmener son chef et ami au théâtre. On annonce une première qui déchaîne les passions, les puritains s’indignent : des artistes topless ! L’Amérique n’apporte pas que le feu et la mort, mais aussi les cabarets et le rock and roll. Le monde change. Vivement la suite.
Stéphane de Boysson