Hommage à Jean-Louis Bergère

Le chanteur et poète angevin Jean-Louis Bergère vient de nous quitter, il nous reste quatre albums à découvrir et redécouvrir. Pour ceux qui connaissent déjà ses chansons habitées, pour ne pas dire hantées, on n’est pas près d’oublier cette voix empathique et humaine, celle d’un grand frère, d’un ami qui continuera de nous accompagner longtemps.

©Jerome Sevrette

Je n’aurai jamais voulu avoir à écrire cet article, Jean-Louis Bergère vient de nous quitter, le simple fait de l’écrire me paraît irréel tant Jean-Louis Bergère me semblait synonyme de vie. J’ai appris sa disparition de la manière la plus prosaïque qui soit, sur les réseaux sociaux. Sans doute que nombre d’entre vous ne connaissent pas les travaux musicaux et poétiques de l’angevin.

Pour essayer de vous donner une idée de son univers, imaginez une rencontre possible entre Bill Callahan, Léo Ferré et Yves Simon. Il y avait quelque chose de l’ordre du malentendu avec Jean-Louis Bergère, les adeptes de la Chanson Française avec un grand C le trouvaient peut-être un peu trop ouvert aux sons d’une Americana ou d’un Rock indépendant, les adeptes de l’indie peut-être une trop large propension à l’envie d’une belle écriture littéraire. De tout cela, Jean-Louis Bergère n’avait finalement que faire et il avait bien raison. Il préférait consacrer son,temps qu’il jugeait presque prémonitoirement précieux  à la lente construction d’une prosodie singulière.

Comme le disait fort justement François Gorin dans les pages de Télérama en 2019 à l’occasion du dernier disque du ligérien, Ce Qui Demeure, à l’écoute des albums de Jean-Louis Bergère, on avait le sentiment d’être en présence de quelqu’un. J’ai eu la chance de rencontrer Jean-Louis Bergère à plusieurs reprises. Il y avait quelque chose de profondément empathique mais aussi paradoxalement intimidant chez cet homme, sans doute ce regard qui semblait plonger au coeur de vous-même.

Avec Jean-Louis Bergère, nous nous sommes balladés en 2014 dans les monts d’Arrée, non loin de chez moi, du côté du mont Saint-Michel de Brasparts pour y enregistrer une interview que j’ai ensuite diffusée dans mon émission Le Cabinet Des Curiosités. Le Mont Saint Michel de Brasparts est un lieu magique au centre des monts d’Arrée, une terre de landes sauvages aux relents d’Ecosse. Avec Jean-Louis Bergère, nous nous sommes assis sous un ciel plombé au pied des pics épineux de Roc’h Trévezel. Je me rappellerai longtemps du regard perdu de Jean-Louis face à la vision de ce lac au loin et des lumières du soir qui tombaient lentement. Je me rappelle ce concert improvisé dans la Chapelle qui se dresse modestement au sommet de notre « montagne » bretonne, ce public qui se forme discrètement, des pleurs dans les yeux d’une femme à l’écoute de Dans Mes Bras, je me rappelle de Jean-Louis qui me remercie pour ce moment, étrange paradoxe que ce remerciement alors que c’est lui qui nous offrait cet instant.

On entrait en compagnonnage avec les chansons de Jean-Louis Bergère car elles assumaient leurs faiblesses, leurs fragilités  et leur humanité.Il y avait un je ne sais quoi dans sa voix, un petit quelque chose qui vous donnait l’impression qu’il ne s’adressait qu’à vous. Ses chansons étaient habitées par sa sensibilité et sa curiosité du monde et des autres, ses chansons étaient comme des paysages qu’il nous invitait à parcourir.

Les chansons de Jean-Louis Bergère étaient habitées par la mort et pourtant, il était éminemment vivant, curieux à tout et à chacun. Souffrant de ne pas découvrir, il était dans un partage permanent avec les autres. On ne se parlait pas souvent lui et moi mais à chaque fois, j’avais le sentiment de retrouver un ami, un proche. Avec Jean-Louis Bergère, nous avons poursuivi ce dialogue amorcé en 2014 un peu plus tard sur ses terres. Je me rappelle de cette marche le long de la Loire au creux d’un hiver froid et de la chaleur qui se dégageait de cet homme.

Dans Jour Sans Fin , Jean-Louis Bergère écrit :

C’est un jour sans fin
Ce dimanche
Les enfants se baignent au lac
Je les vois déjà
Comme ils vivront Après nous
Ici

Il y avait comme une préscience, une connaissance inconsciente chez Jean-Louis d’une disparition possible, d’une forme d’évaporation. Lui qui n’avait pas peur de la mort mais de mourir sous le soleil, de tout quitter la vie d’abord et de sombrer dans le sommeil n’est pas mort, il est juste parti dans un autre espace-temps. Je me plais à l’imaginer nous regarder de cet ailleurs incertain nous, nous baignant dans ce lac et nous voyant continuer à vivre après lui. Sans doute devine-t-on ce petit sourire et cette malice qui glisse dans ses yeux et ce regard profond qui ne nous quitte pas.

Il est juste parti de l’autre côté de la lumière, dans le reflet qui irise la surface d’un lac. Il irrigue de sa chaleur les paysages qui habitent pour toujours ses chansons. Avec Jean-Louis Bergère, il n’était question que de passion, cet homme que l’on sentait tourmenté était un être de passion et d’ouverture. Il y avait chez lui comme une préciosité surannée, un jeu involontaire avec le désuet. Il parlait et écoutait avec passion comme seuls les conteurs savent parler et écouter. Ce qui rend ses chansons si empathiques, c’était sa capacité à saisir le détail imperceptible d’une émotion qui fuit déjà. A elles-seules, les chansons de Jean-Louis Bergère étaient des îles, peut-être des bancs de sable au milieu de la Loire, des possibilités de refuges.

Finalement, Jean-Louis Bergère ressemblait un peu à sa ville, Angers. Qui a déjà visité la vieille ville bourgeoise un peu endormie aura été surpris par la lumière si singulière qui se dégage de cette cité, une lumière blanche et presque brumeuse portée par la pierre dont sont forgés les bâtiments, le Tuffeau. Comme je le disais en 2019 dans ma critique de Ce Qui Demeure, cette pierre blanche est chaleureuse et taiseuse à la fois, blanche car elle est poreuse à ce qui passe à portée de son magnétisme, elle est expressive et timide à la fois, transparente et se perdant dans les reflets de la Loire jamais lointaine. Et si finalement les individus subissaient l’influence des lieux qu’ils habitent ? Et si la pierre nous transmettait un peu de sa force et de sa mémoire ? Jean-Louis Bergère a subi l’influence de cette pierre magique et a fini par lui ressembler, à la fois transparent pour mieux capter l’émotion et magnétique pour mieux nous renvoyer les trésors qu’il trouvait dans ses recherches.

J’envie la chance que vont avoir certains d’entre vous à découvrir pour la première fois la musique et la poésie de Jean-Louis Bergère. Ces chansons continueront de vivre après nous car elles ont toujours eu un rapport à l’éternel.

Nous ne t’oublierons pas Jean-Louis Bergère.

Toutes mes pensées à sa famille, Evelyne et ses enfants mais aussi ses amis musiciens.