« Paul Morand », de Pauline Dreyfus : une biographie remarquable

Pauline Dreyfus nous offre une biographie riche et documentée sur Paul Morand, l’un plus grands écrivains du 20e siècle. Un homme à la vie incroyable, aux convictions toxiques. A lire avant de lire Morand. Prix Goncourt de la biographie 2021.

DREYFUS-Pauline
© Francesca Mantovani

Paul Morand (1888-1976) a eu un existence extraordinaire. Fils unique de parents qui l’adoraient et qu’il adorait, il a été élevé dans une famille appartenant à une bourgeoisie bohème, lettrée et artiste – son père était conservateur du dépôt des marbres à Paris, puis directeur de l’École des Arts Décoratifs. Très tôt, il a rencontré artistes, peintres, écrivains mais aussi princes et princesses, aristocrates… Ami de Marcel Proust, de Jean Cocteau, proche d’Emmanuel Berl et, plus tard, des hussards (Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Laurent et Roger Nimier).

pauline-dreyfus-paul-morandAttaché d’ambassade – qui semble passer plus de temps en congé que présent dans les bureaux – et même ambassadeur de France (à Bucarest). Élu à l’Académie Française – après avoir essayé et essayé, barré en particulier par le Général de Gaulle qui lui en longtemps voulu. Il faut rappeler que Morand a été impliqué dans le gouvernement collaborationniste de Vichy – il a passé plusieurs mois comme chargé de mission au cabinet de Pierre Laval. Frappé d’indignité après la guerre, il vit en Suisse, ne peut pas mettre les pieds en France. Il réussit à revenir tant bien que mal mais sans retrouver le succès d’avant guerre.

Cette existence, Paul Morand l’a menée pied au plancher – au sens premier du terme, il aimait les voitures de sport et dans un sens métaphorique : soirées, fêtes, maîtresses en veux-tu en voilà… et l’écriture. On peut se demander comment il a pu trouver le temps d’écrire, peut-être, comme l’a écrit Emmanuel Berl, « en sautant de voiture ». Car, en effet, Morand a écrit, beaucoup et ce qu’il a écrit est remarquable. Il reste un des meilleurs écrivains français du 20ème siècle. Il a véritablement révolutionné la manière d’écrire dans les années 1920. Il renverse la littérature française, inventant un style sec, musclé, rapide, totalement avant-gardiste. Un style qui n’a pas pris une ride – Tendres Stocks (1921), Ouvert la Nuit (1922), puis Fermé la Nuit (1923), ou plus tard L’homme Pressé (1941) Hécate et ses chiens (1954) et Venise (1971)… Des romans ou nouvelles à lire et à relire. Tout en gardant à l’esprit les propos insupportables que Morand a consigné, jour après jour dans son Journal de Guerre puis dans son Journal inutile (tome 1 et 2. Antisémitisme, homophobie, mysoginie… Les passages abondent, pullulent. Sans parler d’autres traits de caractères qui n’en faisaient pas un personnage franchement sympathique.

C’est cette vie riche et cette ambiguïté délicate que Pauline Dreyfus donne à lire. Une biographie remarquable, bien écrite, riche, documentée, argumentée et qui ne se perd pas non plus dans des détails inutiles. 500 pages, ou presque, qui se lisent d’une traite sans que l’attention ou l’intérêt ne fléchisse. La petite-fille d’Alfred et de Lolotte Fabre-Luce, tous deux proches de Morand, fait un portrait sans concession et sans complaisance. Il y a tout ce qui faut mais rien de plus. Elle ne cache rien de ce que le personnage pouvait avoir de déplaisant, de très déplaisant. Elle ne le minimise pas, ne cache pas Morand derrière son épouse, Hélène Soutzo qui était presque pire que lui. Mais, il faut le dire, Pauline Dreyfus n’oublie pas non plus d’insister sur les mérites de l’écrivain. Elle n’a pas peur de rappeler qu’il est important de faire la différence entre l’homme et l’écrivain. Ce qui, par les temps qui courent, n’est pas si anodin !

Alain Marciano

Paul Morand
biographie de Paulien Dreyfus
Editeur : Gallimard
496 pages – 24 €
Parution : 05 novembre 2020

A écouter en complément  :

Répliques : Paul Morand, l’Homme et l’oeuvre

La compagnie des auteurs : Paul Morand