Jesse Tabish – Cowboy Ballads Part I : fragilité et concision…

Cowboy Ballads Part I, premier album solo du leader d’Other LIves n’apporte rien de neuf à la discographie de l’américain sauf peut-être et c’est essentiel pour Jesse Tabish une nouvelle collection de chansons miraculeuses, touchées par la grâce, l’inventivité et la magie qui n’auraient pas dénoté dans un album du groupe de Stillwater.

Qu’est ce qui nous différencie de l’animal, du seulement instinctif, du seulement vécu par les sens ? Où se crée  cette altérité qui fait notre humanité ? Où se forge cette distinction essentielle et fondamentale ? Qu’est ce qui fait que l’homme est homme et que nous ne sommes finalement qu’un animal très évolué ? Comme toujours, la réponse appartient à un territoire des entredeux, dans une confusion des sentiments. C’est peut-être dans notre cerveau reptilien que réside notre capacité à être humain, dans cet éveil  primaire des sens dans ce qu’ils ont de l’ordre de la sensation, du ressenti et du vécu à l’instant présent. Ce qui nous distingue de l’animal, c’est notre capacité à émerveiller et à être émerveillé. Celui qui pense que face à la contemplation d’une oeuvre d’art, il n’est qu’un spectateur passif, n’a rien compris à ce qui se joue dans cette relation étrange de cannibalisme mutuel où chacun se nourrit de l’autre. Une oeuvre d’art ne peut exister en totale suffisance sans celui qui la regarde et la découvre, celui qui la découvre y dépose des scories, des particules de lui-même.

Pour Jesse Tabish, créer de la musique que ce soient avec Other Lives ou ici en solo avec son premier disque sous son nom, Cowboy Ballads Part I, relève de ce rapport à l’émerveillement et donc de l’échange. Mais de quoi naît l’émerveillement face à la musique d’un compositeur combien même aussi brillant que le natif de l’Oklahoma ? D’un je ne sais quoi que l’on ne parvient jamais à totalement saisir. Comme avec son groupe, Jesse Tabish signe des compositions souvent classiques, pour ne pas dire académiques appuyées par une ligne claire sauf, car il y a toujours un sauf avec les artistes majeurs. Sauf donc que l’auteur injecte un je ne sais quoi d’impalpable qui le distingue des autres groupes officiant dans le territoire du Folk. Jesse Tabish étoffe ses chansons par des orchestrations soyeuses, inventives, par un sens mélodique évident. Comment apporter de la profondeur à des compositions au classicisme en trompe l’oeil ? Peut-être en jouant avec le clair-obscur, avec les chronologies en allant chercher dans le patrimoine si large de l’histoire de la musique américaine. Peut-être aussi en s’assumant peut-être plus en conteur qu’en simple Songwriter.

Il y a de l’ampleur narrative dans le travail de Jesse Tabish et ce Cowboy Ballads Part I le démontre une fois encore. On peut comprendre le titre inaugural et instrumental Cowboy Ballad comme une forme d’installation du décor, comme le générique d’une longue série d’images. Chez Jesse Tabish, il y a de l’ampleur dans le propos, les fâcheux parleront de grandiloquence quand les plus posés parleront de lyrisme maîtrisé. L’américain tire profit de ses faiblesses, il n’est assurément pas un grand chanteur, il sera être un immense interprète.  En s’appuyant sur les faiblesses de son chant, il injecte une fragilité empathique à ses propos, un supplément d’humanité également à ces chansons volontiers imparfaites. Il n’hésite pas à montrer les os sous la chair d’un titre magnifique comme New Love où sa voix hésite entre confession bouleversante, pudeur immense et murmure du non-dit.

Ce qui est remarquable à l’écoute de Cowboy Ballads Part I, c’est ce sens de la concision qui s’illustre par exemple par la brièveté des chansons, par leur manière sinueuse d’aller d’un point à un autre. Ce que l’on entend également chez Jesse Tabish, c’est un musicien qui a aussi bien écouté Mickey Newbury qu’Ennio Morricone (référence évidente de l’américain), le psychédélisme des années 70 que la musique médiévale. C’est peut-être cela qui le différencie d’aimables faiseurs comme Ben Schneider de Lord Huron qui officie dans des mouvances assez proches.  Le problème avec Lord Huron étant que l’auditeur n’échappe jamais à un sentiment de déjà entendu, qu’aucun effet de surprise n’existe à l’écoute de la musique agréable mais peu singulière de ces tâcherons.

Jesse Tabish glisse toujours une part d’étrangeté dans ses mélodies, comme une profondeur qui ne dit jamais son nom. Avec une belle intelligence, il a saisi que pour atteindre une forme d’émerveillement, il faut savoir jouer avec l’ennui car de cet ennui naît une forme de torpeur propice à la contemplation. Alors, bien sûr, tout n’est pas toujours passionnant sur ce disque inégal mais les morceaux les plus faibles viennent nourrir la fascination face aux titres plus forts et plus singuliers.

Avec Cowboy Ballads Part I, Jesse Tabish insuffle quelques grands moments d’émerveillement, ces instants qui nous rappellent à notre humanité, à l’essence de nous-mêmes, c’est parfois futile parfois essentiel dans un entredeux qui nous ressemble.

Greg Bod

Jesse Tabish – Cowboy Ballads Part I
Sortie le 21 octobre 2022
Label : PIAS