« Le tribunal des oiseaux » d’Agnes Ravatn : magistral !

Pour la première fois traduite en France, la norvégienne Agnes Ravatn, avec son roman le Tribunal des oiseaux, ne lâche pas un instant son lecteur. Un huis-clos glaçant dans une maison perdue au bord d’un fjord…

Agnes Ravatn
© Marius_Viken

Le Tribunal des oiseaux d’Agnes Ravatn aurait très bien pu être édité chez Gallmeister et cohabiter sans rougir avec Sukkwan Island de David Vann. Ils partagent beaucoup de points communs : un récit efficace n’omettant pas la psyché troublée des personnages, une capacité de transmettre au lecteur la sourde tension qui lie les protagonistes, sans oublier l’art de vous faire frissonner au sens propre et figuré dans des lieux magnifiques mais frisquets. Ici, nous ne sommes pas en Alaska mais au bord d’un fjord norvégien.

Le Tribunal des oiseauxNon ce n’est pas un autre polar scandinave, c’est beaucoup plus que cela même si le lecteur tourne avidement les pages pour en découvrir davantage sur cet homme, cette femme dont Agnes Ravatn nous révèle les failles, les secrets, quelques bribes de vie, quelques indices mais à dose homéopathique et c’est bien là le sel du Tribunal des oiseaux.

Que savons-nous d’Allis Hagtorn, l’héroïne ? Cette trentenaire est en rupture de ban fuyant un scandale médiatique dont nous saurons finalement peu, elle vient se cacher, s’échouer dans cette maison côtière où elle a trouvé un emploi d’auxiliaire de vie, de jardinière, de cuisinière. Sigurd, l’homme qui la recrute et qu’Agnes Ravatn nous amène à penser qu’il est un vieillard cacochyme s’avère être un robuste quadragénaire.

Nous suivons alors cette cohabitation étrange rythmée par des travaux de jardinage entrepris par Allis, néophyte dans le domaine, la préparation des repas, les courses chez une épicière à la langue vipérine, l’ombre prégnante d’une absente et tout cela sous la taciturne surveillance de Sigurd qui passe le plus clair de son temps isolé dans son bureau : « Il se tut, se referma sur lui-même. Cette façon de s’absenter, de se réfugier dans le silence : comme s’il se retirait dans ses appartements. ». Ne vous méprenez pas sur la fragilité de cette intrigue, toutes les pages vous réservent leur lot de surprises et quelques angoisses.

Tout n’est pas qu’inquiétude, la relation entre ce couple improbable finit par se dégeler, aider en cela par les bouteilles qu’on partage sur un ponton au bord du fjord mais ne vous réjouissez pas trop vite…Sigurd a un chic certain pour casser l’ambiance notamment quand il raconte ce qui s’avèrera un rêve : « Des hommes et des femmes sont apparus entre les arbres, ils portaient de longues capes noires et des masques. Des masques d’oiseaux. », songe bizarre qui donne le titre du Tribunal des oiseaux et fait remonter à la surface « le terme skjemtarvrk, synonyme d’ubotamal : un crime si grave que rien ne pouvait le racheter ».

Au risque certain de me répéter, la qualité hitchcockienne du livre est de vous tenir en éveil car plus vous avancez dans le récit et plus vous comprenez que l’étrange Sigurd n’est jamais avare d’une réaction imprévue… tenant sous sa coupe Allis, victime consentante à la recherche, elle aussi, sans doute d’un rachat : « Soit il estimait que tout était parfait, soit il me trouvait insupportablement collante. Comment voulait-il que je me comporte ? Je savais me glisser dans n’importe quel rôle, c’était là mon principal talent ; je savais m’adapter à mes interlocuteurs quels qu’ils soient. »

Les atmosphères dépeintes dans le Tribunal des oiseaux nous ramènent évidemment au danois Bergman et son ile de Faro notamment par la sobriété du propos qui décrit des situations somme toute violentes et complexes. La norvégienne Agnes Ravatn est une écrivaine et nous prenons également plaisir à nous perdre dans le récit de la légende de Balder (fils d’Odin excusez du peu), nous apprendrons au passage qu’Allis est une historienne (épaississant son mystère), est-ce que la légende de Balder est la métaphore du roman, je vous laisse la découvrir.

La gageure du Tribunal des oiseaux est de conduire le lecteur à s’intéresser au parcours de ces deux individus bizarres, pas franchement sympathiques : on ne sait si on doit les plaindre, s’apitoyer ou les condamner, c’est encore une autre force de ce roman magistral. Nous attendons avec impatience la traduction des autres romans d’Agnes Ravatn.

Éric ATTIC

Le tribunal des oiseaux
Roman d’Agnes Ravatn
Traduit du néo-norvégien par Terje Sinding
Éditeur : Actes Sud
240 pages – 22,00€
Date de parution : février 2023

2 thoughts on “« Le tribunal des oiseaux » d’Agnes Ravatn : magistral !

  1. Merci pour ce bel article qui m’a fait très plaisir !
    Terje Sinding
    (traducteur)

    1. Merci Terje pour votre commentaire. Nous attendons avec impatience vos autres traductions d’Agnes Ravatn. Bien à vous – Eric Attic

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