« Kalmann » de Joachim B. Schmidt : le shériff de Raufarhöfn et la disparition de Róbert McKenzie

Kalman n’est un roman noir qu’en apparence. C’est une fable humaniste qui prend l’excuse d’une mort violente pour nous parler d’un pays, d’un lieu magique et fantastique, et de personnages aussi farfelus qu’humains. Un beau moment, suspendu au milieu du vide enneigé.

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© Eva Schram

Ce roman est avant tout l’histoire de Kalmann ! Oui, le titre ne ment pas. Il y a bien une histoire policière, qui sert de fil rouge, mais celui qui fait l’unité du roman, c’est bien Kalmann Óðinsson, le shérif de Raufarhöfn, un petit, tout petit, port situé au nord de l’Islande, à plusieurs centaines de kilomètres de Reykjavík, pas si loin du cercle polaire…

KalmannAh bon, il y a des shérifs en Islande ? Ou alors c’est une sorte de justicier local, un boss du crime organisé ? Non, rien de tout cela. Kalmann est affublé de ce surnom uniquement parce qu’il porte tout un attirail de shérif qu’il a hérité de son père : un chapeau et une étoile et aussi un pistolet (un Mauser, qui n’a toutefois rien d’un pistolet de shérif américain). Et on le laisse faire, avec bienveillance, parce que Kalmann a de la soupe de poisson dans la tête ! Il est un peu simple, l’idiot du village, quoi…

Et c’est lui qui découvre un jour qu’il est parti à la chasse au renard polaire, une énorme tache de sang. Découverte macabre, faite quelques jours après la disparition de Róbert McKenzie, qui lui est le vrai boss du village, l’homme le plus riche du coin, celui qui possède l’hôtel et le dernier quota de pêche de Raufarhöfn… Est-ce le sang de Róbert ? Oui, l’analyse ADN le confirme! Est-il mort ? Probable : difficile de rester en vie après avoir perdu une telle quantité de sang. Mais c’est impossible de le confirmer. On ne retrouve pas le corps. Les secours, qui sont arrivés avec les journalistes d’ailleurs, cherchent. Rien n’y fait, pas de Róbert McKenzie. L’enquête est menée. Une seconde mort survient, qui rend les choses plus compliquées encore. On ne trouve pas Róbert. Et pendant ce temps on suit Kalmann, ses démêlés avec la police, avec sa mère, avec les requins qu’il pêche, avec Schwartzköpf, le renard polaire (oui, Kalmann a donné un nom de shampoing à un renard), avec Bagoft, la fille de Róbert que Kalmann aime beaucoup et avec Nadja (que Kalmann aime beaucoup aussi)… et on ne trouve toujours pas Róbert.

Joachim B. Schmidt nous fait vivre quelques heures, quelques jours avec le shériff de Raufarhöfn, mais aussi avec les autres habitants du village. On se promène dans les environs, on va sur la mer à la pêche au requin, on apprend une recette secrète pour faire fermenter la chair de requin. On sent sous la plume de cet auteur suisse un vrai amour de l’Islande, de ses paysages sublimes et effrayants à la fois, de cette nature si peu accueillante pour l’être humain, mais à laquelle des hommes ont pourtant essayé de (et réussi à) s’habituer. On s’imagine véritablement au bout du bout de l’Islande, regarder la mer, l’étendue grise qui va jusqu’au cercle polaire ; on sent le vent, la morsure du froid et l’excitation d’être au milieu de nulle part. Joachim B. Schmidt réussit parfaitement à nous transporter dans cet endroit qui, à en croire les photos qu’internet nous offre, a définitivement l’air fantastique. Joachim B. Schmidt réussit aussi à nous faire aimer ses personnages, pour lesquels il a une vraie affection. Oui, évidemment, il y a deux morts, dont un de mort violente – après tout, c’est un roman noir ! Mais pas si noir, en réalité. Kalmann est plein de la lumière et de la chaleur des sentiments qui relient ces êtres qui vivent dans des conditions si difficiles. On en a presque envie d’aller manger du requin fermenté sous la neige, par -40 degrés de température !

Alain Marciano

Kalmann
Roman de Joachim B. Schmidt
Traduit de l’allemand (suisse) par Barbara Fontaine
Editeur : Gallimard
368 p., 22 €
Parution : 6 avril 2023