[Canal+] Somewhere Boy : un étonnant et puissant retour à la vie…

Nouvelle perle originale venue d’Outre-Manche, Somewhere Boy, dont le terrible postulat de départ aurait pu donner une série glauque et sombre, propose au contraire une progressive mise en lumière de ses personnages, jusqu’au final, rempli d’espoir et de délicatesse. Une gageure hautement réussie.

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Même si le parti pris esthétique de la mise en scène impose une originalité de ton et d’image, le pitch de départ lorgne vers le réalisme social misérable, tendance Ken Loach et Mike Leigh en plus sordide : Danny, reclus en ermite depuis tout petit par son père après le décès accidentel de sa mère, est « retrouvé » à 18 ans, son père dépressif ayant brutalement mis fin à ses jours. Il est accueilli par sa tante et son fils du même âge. Et quand Danny comprend que sa mère a subi un chauffard du coin toujours vivant, il va à tout prix chercher à le retrouver, tout en (ré)apprenant à vivre dans ce monde extérieur qu’il n’a jamais connu…

Vous l’aurez compris : on ne rit pas à gorge déployée de prime abord. Le premier épisode en particulier, marquant par le frontal assumé de la situation, privilégie d’entrée le récit initiatique tardif du jeune enfermé, qui découvre à sa majorité un monde dont il a été complètement exclu dès sa naissance. Le traitement de ce passif pourrait être long et lourd, il n’en est rien : la narration choisit d’aller vers l’avant, de se confronter aux difficultés sociales, relationnelles et intimes de Danny, et d’y inclure régulièrement des flash-back sur son passé, et sur les circonstances qui l’ont amené à cette situation. De fait, le rythme ne s’essouffle jamais, et les huit épisodes maintiennent en haleine le téléspectateur en quête de questionnements sur le pourquoi de cet enfermement, puis sur le « comment va-t-il s’en sortir ? »

La force de Somewhere Boy, et qui en fait une série digne d’intérêt, c’est cette poésie et ce désir de légèreté pour dépeindre l’horrible du constat de départ. Elle décide surtout de balayer tout misérabilisme appuyé et forcément attendu pour atteindre, via des séquences d’une douceur et d’une drôlerie assumées, une émotion que l’on aurait jamais imaginée. Le chemin de vie renouvelée pour Danny devient, au fil des épisodes, émouvant et touchant. Ils sont portés par son interprète inoubliable, Lewis Gribben , épaulé de près par Lisa McGrillis – à contre-emploi de son rôle de ravissante idiote dans le génial Mum – et qui incarne vraiment toute la grâce et la fragilité instable de son personnage. On est bien loin d’une caricature d’asocial ou d’enfant sauvage que l’on aurait pu craindre… Mais c’était sans compter sur le talent des scénaristes britanniques qui en font un objet particulier et saisissant, mais aussi tendre et très humain. Très BBC, en somme.

Enfin, l’autre grand sujet de cette belle série, c’est la notion de monstruosité. Le père de Danny empêchait depuis l’enfance que son fils sorte à l’extérieur « rempli de monstres », ceux-là même qui avaient tué sa mère et qui pourraient s’attaquer à lui. Quand il découvre enfin ce qu’est le monde, et que son père lui a donc menti toute sa vie jusqu’ici, qui est le monstre ? Son paternel ? Lui-même, considéré comme anormal par les autres ? Ou bien les autres, qui peuplent ce monde un peu cruel et difficile dans lequel il tente de se faire une maigre place ? Qui est le monstre de l’autre ? Ce sujet, aussi philosophique que politique, est le fil rouge de ce douloureux apprentissage sur le tard de la vie et de ses tourments, comme de se (re)construire quand on a tout perdu ou tout évité, pour Danny comme pour son entourage. En sus du fin portait du personnage central, s’affirme au long de Somewhere Boy toute une galerie d’âmes en proie à leurs passés, leurs démons ou qui tentent de se faire une place dans une société où être différente relève du défi.

Et, en termes de défi, la série en relève un de taille : être aussi poétique que sordide, aussi léger que précieux, malgré de nombreux défauts ou facilités scénaristiques. Elle est, à l’image de ses protagonistes, avec leurs qualités et faiblesses : terriblement humaine.

Jean-françois Lahorgue

Somewhere Boy, série britannique de Pete Jackson
Avec Lewis Gribben, Samuel Bottomley, Lisa McGrillis
Genre : Drame social
8 épisodes de 25 mn chacun
Diffusion France : Canal +